Les désemparés - Max Ophüls - critique

Critique : The Reckless Moment est le dernier des quatre films que Max Ophüls - rebaptisé Opuls - a pu mener à bien aux États Unis. Produit par Walter Wanger pour la Columbia, le film ne bénéficie que d’un budget modeste - vingt-neuf jours de tournage - mais de la présence de deux vedettes : Joan Bennett et James Mason.
Le style est celui du film noir : photo noir et blanc très contrastée, personnages secondaires fortement caractérisés, ancrage social fort... mais avec ici une touche de néoréalisme, en particulier dans les scènes d’extérieur filmées dans la station balnéaire de Balboa : reflet des vagues au soleil, gamins agglutinés autour des enquêteurs, absence presque complète de musique lors de certaines scènes.
Malgré le peu de moyens mis à sa disposition Ophüls s’offre le luxe de superbes mouvements de caméra - parfois à la grue - certainement longs et difficiles à mettre en place, mais « payants » à l’arrivée tant le tournage en plan-séquence s’accorde ici avec le propos même du film. En effet le personnage principal, Lucia, ne cesse d’aller et de venir et la caméra l’accompagne dans ses déplacements.
Déterminée à maintenir coûte de coûte la cohésion et l’intégrité de sa famille, dont, en l’absence du père parti en Europe, la charge repose sur ses épaules, elle est entraînée à s’aventurer dans des lieux dont sans doute elle soupçonnait à peine l’existence : hôtels de troisième ordre dès la première scène, boutique de prêteur sur gage, immense station de bus, boîte de nuit...
Nous l’accompagnons en temps réel alors qu’elle s’acharne à déplacer un cadavre sur une plage pour le hisser dans un canot avant de le jeter à la mer, ainsi que lors de ses allées et venues entre la maison et la remise, entre le premier étage et le rez-de-chaussée... Lucia parcourt tout le film avec un air buté, attentive à ne révéler aucune émotion, du moins jusqu’à la séquence finale où elle se lâche enfin.
Le film repose en grande partie sur la performance des deux acteurs principaux : Joan Bennett, magnifique de détermination fragile dans son dernier grand rôle (après ses inoubliables prestations chez Walsh, Lang, Renoir et bien d’autres) ; et James Mason, qui n’entre en scène qu’à près de la moitié du film, mais confère d’emblée au personnage de Donnely une fébrilité qui met en péril la détermination de Lucia et lui assure l’adhésion du spectateur.
Tout aussi abouti que Letter from an Unknown Woman, ce film d’apparence modeste est un des chefs-d’œuvre de Max Ophüls.

Le DVD

Comme d’habitude, Carlotta nous propose une édition superbe, avec d’excellents bonus.

Les suppléments

Deux documentaires d’entretiens remarquables et éclairants ; le premier, riche en informations sur le tournage, avec Lutz Bacher, auteur d’un livre sur Ophüls ; le second, avec le cinéaste Todd Haynes, s’intitule « maternal overdrive » et donne quelques aperçus judicieux à la fois sur le film d’Ophüls et sur ceux de Haynes, en particulier Far from Heaven.

Image

Très beau rendu du noir et blanc contrasté de Burnett Guffey.

Son

Son mono de bonne qualité permettant d’apprécier le travail d’ambiance sonore (bruits de vagues,etc.) qui joue un rôle très important dans le film.