Littérature étrangère
Le 13 novembre 2002
Magistrale saga familiale, Les corrections démolit consciencieusement l’utopie du rêve américain. Ce roman rétrospectif éblouit par sa construction et la justesse de son propos.
- Auteur : Jonathan Franzen
- Editeur : Editions de l’Olivier
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Américaine
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Mais qui est Jonathan Franzen ? Âgé de 42 ans, cet écrivain s’est enfermé dans un studio de Harlem pour rédiger son roman. Il a ensuite décliné l’offre d’Oprah Winfrey qui l’avait invité à son émission de télévision. La presse s’est emparée de ce nouveau phénomène et, fort de ce succès médiatique, il a déjà vendu un million d’exemplaires des Corrections aux États-Unis. La notoriété de Franzen, désormais internationale (à ce propos, il convient de saluer le gigantesque travail effectué par Rémy Lambrechts, auteur de la traduction française), s’explique d’abord par la portée universelle des thèmes et des personnages de ses Corrections.
À Saint Jude, petite bourgade du Midwest américain, Enid et Alfred Lambert vivent seuls depuis que leurs trois enfants ont quitté le domicile familial. Alfred, atteint par la maladie de Parkinson, attend calmement la mort, prostré dans son fauteuil bleu remisé à la cave, au grand dam de sa femme.
Enid considère Noël comme la seule date importante de l’année, le moment où la famille toute entière a des chances d’être réunie sous son toit. L’intrigue du roman se résume d’ailleurs à cette simple question : les trois enfants d’Enid viendront-ils fêter Noël à Saint Jude ?
Il y a d’abord Gary, le fils aîné, l’image même de la réussite. Sa femme Caroline lui a donné trois charmants garçons, et ce banquier, champion de la spéculation boursière et investisseur patenté, possède une grande villa dans laquelle le mixed grill fait figure de rituel culinaire.
Chip, le cadet, se complaît dans la mythomanie pour ne pas décevoir les espoirs de ses parents. Sa mère le croit journaliste, son père professeur d’université. En fait, il rédige à l’occasion quelques articles pour un fanzine et, parce qu’il a eu une relation avec l’une de ses étudiantes, n’a pas été titularisé. Cette situation précaire le pousse à accepter un poste de webmaster en Lituanie pour le compte d’un mafieux, ex-mari de son ex-femme.
Et puis il y a Denise, benjamine à la sexualité ambivalente, qui connaît un réel succès dans la restauration mais dont la vie affective est aussi compliquée que ses recettes de cuisine. Elle arrondit les angles entre ses parents et ses frères, sert de médiateur, s’arrange pour que les paroles malheureuses des uns ou des autres ne débouchent pas sur des drames.
Roman à tiroirs qui s’ouvrent et se ferment en permanence, Les corrections dépasse allègrement le seul portrait d’une famille de la middle class pour raconter le misérabilisme d’un pays. Énivrée par les marchés boursiers, idéalisant le cercle familial, désireuse de culminer au sommet de la technologie, cette Amérique-là suinte la souffrance et le mal-être. Tout le talent de l’auteur se révèle dans la justesse des détails, les digressions inattendues et la peinture d’une foule de personnages désespérés qui ont finalement tous à voir les uns avec les autres. Les mises en abîme permanentes et la façon qu’a Franzen d’emmener son lecteur se balader là où bon lui semble font la magie de ce roman.
Ce que le vingtième siècle a produit de plus pernicieux aux États-Unis s’éclaire ici dans sa lumière la plus crue. Le titre, énigmatique au premier abord, fait référence aux corrections des marchés boursiers mais surtout à ces destins que l’on souhaiterait écrits d’avance, à ces valeurs défendues par les parents que les enfants désirent "corriger" pour ne plus les reproduire. Finalement, à l’image d’Enid, on se plaît à penser qu’une vie n’y suffirait pas.
Jonathan Franzen, Les corrections (The corrections, traduit de l’anglais (États-Unis) par Rémy Lambrechts), Éd. de L’Olivier, 2002, 715 pages, 21 €
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