L’inconsolable
Le 7 janvier 2015
Paradjanov invente une esthétique de sacralisation carnavalesque basée sur le collage et nous fait entrer de plain pied dans dans un monde de légende vivante.
- Réalisateur : Sergei Paradjanov
- Acteurs : Ivan Nikolaitchouk, Larissa Kadotchnikova, Tatiana Bestaéva, Nikolaï Grinko, Leonid Engibarov, Spartak Bagashvili
- Genre : Drame, Historique
- Nationalité : Ukrainien
- Durée : 1H31mn
- Titre original : Тіні забутих предків (ukrainien) ou Тени забытых предков (russe)
- Date de sortie : 25 mars 1966
- Plus d'informations : http://www.editionsmontparnasse.fr/...
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– Tourné en 1964
– Sortie en URSS : 4 septembre 1965
– coffret DVD éditions Montparnasse le 10 avril 2013
Paradjanov invente une esthétique de sacralisation carnavalesque basée sur le collage et nous fait entrer de plain pied dans dans un monde de légende vivante.
L’argument : Adapté de la nouvelle Les Ombres des ancêtres oubliés, Les Chevaux de feu est un conte situé dans les Carpates orientales sur la tragédie d’un amour impossible entre Ivan et Maritchka, dont les familles se détestent.
Notre avis : Produit par les studios Dovjenko de Kiev, le cinquième long-métrage de Paradjanov célébre le centenaire de l’écrivain ukrainien Mykhailo Kotsiubynsk en adaptant un des récits de ce dernier, publié en 1912 et intitulé Les ombres des ancêtres oubliés (c’est aussi le titre original du film), dont l’action est située dans la communauté des Goutzouls (ou Houtzoules) vivant dans les Carpates ukrainiennes.
- Тіні забутих предків (1964)
Le cinéaste, qui s’était déjà intéressé aux traditions populaires ukrainiennes dans des courts métrages tels que Zolotye ruki / Les Mains d’or ou Dumka (tous deux de 1957), déclarait, dans un entretien réalisé au moment de la sortie française en 1966, percevoir dans le texte de Kotsiubynsk cette ligne où la nature devient l’art et où l’art devient nature.
Il s’est immergé pendant des mois avec son équipe dans le mondes des Goutzouls, se laissant, selon ses propres dires, entraîner par la matière première du récit, par son rythme et son style, afin que littérature, histoire, ethnographie et métaphysique se fondent en une unique vision cinématographique.
- Тіні забутих предків (1964)
Alors que ses fort belles réalisations précédentes (Andriyesh, Le premier gars, Ukrainskaya rapsodiya, Une fleur sur la pierre) restaient relativement classiques et soumises aux canons en vigueur dans le cinéma soviétique de l’époque, celle-ci s’en écarte résolument et, entrant de plain-pied, comme l’indique un carton du générique, dans un monde de légende encore vivante, débarrasse la "vision" populaire de tous les fards du musée (Paradjanov dixit).
En douze chapitres* météorologiques correspondant aux mois d’une année, le film ose un langage cinématographique inédit, pictural, dont la force poétique explosive doit moins aux nombreux mouvements de caméra et au montage virtuose qu’à une esthétique du collage, de la juxtaposition d’éléments hétérogènes proche de celle pratiquée par Pasolini et accomplissant le prodige d’un cinéma aussi moderne que primitif.
- Тіні забутих предків (1964)
L’ancrage ethnographique scrupuleux, maniaque, et en même temps totalement réinventé, n’est qu’un des axes de cette esthétique du sacré, ritualisée, qui confronte la crudité nue de la tragédie au carnavalesque et célèbre la beauté à peine soutenable d’un monde où chaque visage, chaque objet, chaque son (les chants traditionnels, les caverneux appels des trâmbiţa, sorte de cors des Alpes), acquiert une prodigieuse matérialité menacée.
Dans ses entreprises ultérieures, le magnifique court-métrage Hagop Hovnatanian (1965), le projet des Fresques de Kiev, resté à l’état d’ébauche, le sidérant Sayat Nova, Paradjanov allait encore pousser plus loin son sens de l’expérimentation, s’attirant les foudres d’une censure à qui la dimension politique de cet esthétisme n’échappait pas.
- Les chevaux de feu (Les ombres des ancêtres oubliés)
Le DVD
- Coffret : 4 films de Sergueï Paradjanov
Les Editions Montparnasse publient un coffret de 4 DVDs présentant les films majeurs de Paradjanov accompagnés d’un ensemble conséquent d’essais documentaires sur son oeuvre.
Les quatre films réunis sont :
– Les chevaux de feu
– Sayat Nova
– La Légende de la forteresse de Souram / Ambavi Suramis tsikhitsa
(1h22mn ; 1984)
Co-réalisé par David (Dodo) Abachidze. Interprètes : Sofiko Tchiaoureli, Zourab Kipchidze ; David Abachidze ; Vriko Anjaparidze ; Levan Uchaneishvilli
L’argument : Dans les temps les plus reculés, les Géorgiens décidèrent de construire une forteresse pour protéger leur pays contre les invasions. Mais celle-ci s’effondre dès que l’on parvient au niveau du toit. Pour achever la forteresse, un beau garçon doit accepter d’y être emmuré vivant...
Notes : Renouant, après plusieurs années de goulag et d’interdiction de travail, avec l’extraordinaire esthétique à base de tableaux vivants qui confère à chaque objet la force d’évocation poétique de ce qui est à la fois totalement concret, saisi dans le présent, et symbole énigmatique, Paradjanov retrouve l’émerveillement d’un cinéma de la première fois (frontalité, tours de passe-passe à la Méliès, sacralité et carnavalesque, sidérante inventivité figurative) et entraîne le spectateur émerveillé dans la temporalité labyrinthique d’un conte fondateur, le gratifiant de l’expérience heureuse d’un jamais vu qui semble pourtant réveiller les échos d’un passé immémorial.
- La légende de la forteresse de Souram (1984)
– Achik Kerib, conte d’un poète amoureux
(1h13mn ; 1988)
Co-réalisé par David (Dodo) Abachidze ; Interprètes : David Abachidze, Youri Mgoian (Achik-Kerib), Konstantin Stepankov, Sofiko Tchiaoureli, Ramaz Tchhikvadze
L’argument : Achik Kerib, jeune poète pauvre, qui chante la geste des preux avec son luth, et Magoul-Méguérie, la fille d’un riche marchand. Le père refuse le mariage déshonorant de sa fille avec ce vagabond. Achik Kerib doit alors faire fortune en mille jours et mille nuits pour obtenir le consentement paternel.
Notes : Présenté à la Mostra de Venise en 1988 et dédié à son ami Andreï Tarkovski, Achik Kérib, adapté d’un récit de Lermontov, est le dernier film achevé de Paradjanov (Confession, interrompu par la mort du cinéaste en 1990, restera à l’état d’ébauche). L’esprit du conte et la magie d’un cinéma artisanal s’y déploient sur un registre léger, souvent même délibérément potache. Le charme opère pourtant, une fois encore, dans cette oeuvre qu’on pourra néanmoins trouver moins aboutie, plus inégale, que les précédentes.
- Achik Kerib (1988)
Les suppléments
Un ensemble conséquent de documentaires, tous d’origine russe et réalisés par Levon Grigorian, vient apporter un éclairage souvent passionnant sur l’oeuvre, graphique et cinématographique, du cinéaste arménien.
– Eros et Thanatos : Ce documentaire russe de 2009, d’une durée de 33 mn, qui souffre certes d’un commentaire en voix off un brin grandiloquent (mais néanmoins pertinent), invite à une passionnante exploration des motifs visuels de l’oeuvre de Paradjanov au travers d’extraits de ses films mais en puisant aussi dans le vaste matériau inédit qu’on aimerait connaître dans son intégralité. On pourra découvrir notamment les essais pour le projet interrompu des Fresques de Kiev où le cinéaste, renonçant aux mouvements fluides et à la caméra souvent virevoltante des Chevaux de feu, mettait en place l’esthétique frontale en plans-tableaux à laquelle il recourra désormais.
– Souvenirs de Sayat Nova (30 min) tente de reconstituer le film tel qu’il avait été conçu par Paradjanov en recourant aux nombreux plans non utilisés dans le montage final fait à l’insu du réalisateur. La découverte de ces éléments qui font entrevoir un film encore plus sidérant que celui que nous connaissons, est un des points forts du coffret. (Rappelons qu’Enrico Ghezzi avait programmé quatre heures de rushes de Sayat Nova dans son programme nocturne sur Rai 3 il y a quelques années.)
- La légende la la forteresse de Souram (1984)
– Andreï et Sergueï (39mn) explore les points de rencontre, nombreux, entre les oeuvres, si différentes, de deux cinéastes (Paradjanov et son cadet Tarkovski) que liait une profonde amitié.
– Orpheus descending (33 min) s’intéresse au rôle central de la figure du Christ chez Paradjanov et à l’influence du Pasolini de L’évangile selon Saint Matthieu.
– Moi, Sergueï Paradjanov (25 min) offre l’occasion de voir Paradjanov au travail sur le plateau de La légende de la forteresse de Souram.
- La légende de la forteresse de Souram (1984)
Image
C’est une note moyenne : la qualité est, reconnaissons le, assez variable, allant de l’excellent (Les chevaux de feu aux splendides couleurs vives sans agressivité et à la définition poussée) au passable (Achik Kerib aux couleurs parfois saturées et à la définition globalement médiocre). Pour Sayat Nova et La Légende de la forteresse de Souram les couleurs sont éblouissantes mais la définition n’est pas exempte de défauts.
Son
Aucun défaut notable ne vient entraver la perception de la composition sonore très élaborée de tous ces films. On relèvera cependant quelques passages où intervient une traduction russe en voice over dans La Légende de la forteresse de Souram.
- 4 films de Sergueï Paradjanov
*Titres des chapitres apparaissant en lettres cyrilliques rouges sur fond noir : Les Carpates, oubliées de Dieu et des hommes, terre des Houtsoules - Ivan et Maritchka - Le pré - Solitude - Demain, le printemps - Le sorcier - L’auberge - La mort d’Ivan - La vie quotidienne - Noël - Ivan et Palagna - La Piéta (en lettres blanches latines sur fond noir).
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