Le 28 janvier 2014
Enfin présent sur les écrans français, ce film d’Ermanno Olmi est une œuvre salutaire d’une grande actualité. Avec un Michael Lonsdale éblouissant...
- Réalisateur : Ermanno Olmi
- Acteurs : Michael Lonsdale, Rutger Hauer, Massimo de Francovich, Alessandro Haber
- Genre : Drame
- Nationalité : Italien
- Durée : 1h27mn
- Titre original : Il villaggio di cartone
- Date de sortie : 29 janvier 2014
- Festival : Festival de Venise 2011
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Enfin présent sur les écrans français, ce film d’Ermanno Olmi est une œuvre salutaire d’une grande actualité. Avec un Michael Lonsdale éblouissant...
L’argument : Un prêtre âgé est catastrophé par la déconsécration de son église et le fait qu’il se retrouve privé de tout rôle social. Mais un groupe d’émigrants clandestins ne tarde pas à trouver refuge dans cette « église » et à donner au vieux prêtre un nouveau rôle et de nouvelles responsabilités.
© Bodega films
Notre avis : Le film s’ouvre sur les cris désespérés d’un vieux prêtre (Michael Lonsdale) qui assiste, impuissant et désemparé, à la désacralisation de son église. Il voit ainsi avec déchirement les déménageurs déboulonner et embarquer l’immense crucifix trônant au-dessus de l’autel. Un lieu de culte qui fut sans doute le seul endroit où le curé exerça son sacerdoce en essayant de convaincre ses ouailles de continuer à vivre en suivant le bon chemin. Mais quel chemin ? Sans doute ses sermons d’un autre temps, empreints d’une lecture dépassée et culpabilisante des Évangiles, ont-ils découragé plus d’un paroissien pour que l’église, ayant perdu ses fidèles, soit rendue à la vie profane, puis dévolue à la démolition.
Le film d’Ermanno Olmi Il Villaggio di cartone a été présenté à la Mostra internazionale d’arte cinematografica di Venezia en septembre 2011 ; il est sorti en salles en Italie le 7 octobre suivant. Après avoir été distribué au Canada, en Espagne, au Japon, en Corée du Sud…, ce film est enfin présent sur les écrans français. Pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps pour découvrir ce si beau et grand film ?
Digne héritier du néo-réalisme, nous devons à Ermanno Olmi bon nombre de chefs-d’œuvre brassés de valeurs humanistes. Bien sûr, on a tous en mémoire L’Arbre aux sabots, Palme d’or 1978 à Cannes et César du meilleur film étranger, mais aussi La Légende du saint buveur, Lion d’or à Venise en 1988. Ce cinéaste, à forte conscience sociale, a également co-réalisé Tickets avec Abbas Kiarostami et Ken Loach en 2005.
© Bodega films
Le Village de carton n’est pas un film réaliste. Olmi l’a d’ailleurs présenté à la Mostra de Venise comme un « apologue où chaque chose présente a valeur de symbole ». Le film est une superbe fable biblique. Nous retrouvons dans chaque plan l’humanisme, d’inspiration chrétienne, d’Olmi – mais aussi sa dénonciation militante, en cette année 2011, de la politique anti-immigration de Silvio Berlusconi.
Le vieux curé, en accueillant un groupe d’immigrés clandestins dans son ancienne église, revient aux fondamentaux de sa foi qu’il avait sans doute un peu négligés. Ou tout du moins prend-il conscience qu’il s’est détaché de réalités concrètes quand il se dit à lui-même et comme s’il le redécouvrait : « Le bien est plus que la foi. ». Il reprend ainsi ce qu’écrit l’apôtre Jacques dans les Évangiles :« La foi sans les œuvres n’est rien ». Et dans des situations d’urgence, le vieil homme semble se dire que Dieu attendra ses prières… Son devoir, c’est d’abord d’aider les autres, ceux qui sont venus se réfugier dans son église – même désacralisée… Et Olmi de nous montrer que ce vieux curé, en pleine crise mystique, se voue alors et entièrement à l’hospitalité. « Sans les autres, nous ne sommes que des hommes de carton. Il faut s’agenouiller devant les plus démunis qui souffrent et non devant un Christ en carton. C’est ce qu’a fait Jésus. »
L’homme d’Église se rend compte que sa souffrance de voir le Christ déboulonné pour désacraliser l’église est en effet bien dérisoire devant celle qu’il ressent devant ces réfugiés partis du Sénégal à « beaucoup et arrivés à très peu », comme le dit un de ces immigrés en ajoutant : « Ils ont chargé la barque au maximum. »
© Bodega films
Ces immigrés clandestins africains, recherchés par la police, occupent donc ces lieux profanes dans l’attente d’un départ vers la France, tandis que l’un d’eux, blessé, est soigné par le vieux prêtre au presbytère. Le toit fuit de partout, rendant la nef inconfortable. On dresse alors des tentes de toile et de carton. On appelle le médecin du coin pour panser les plaies. Le vieil homme dans son église décide de s’engager fermement contre l’injustice et la cruauté de la loi des hommes. À ce sujet, la scène entre le chef de la police qui recherche les réfugiés et le curé est éloquente et très forte.
Ermanno Olmi nous montre sans complaisance le groupe de réfugiés, aux personnalités diverses, qui a installé ce village de carton entre les bancs de l’église. L’un d’entre eux est blessé, une autre, toute jeune, va accoucher… Difficile d’avoir cité l’apôtre Matthieu à longueur de sermon et de rester sans rien faire face à la détresse qui déboule : « Car j’avais faim et vous m’avez donné à manger… J’étais un étranger et vous m’avez accueilli… » Il y a aussi bien le jeune garçon qui s’est teint les cheveux en blond, sans doute pour paraître déjà plus occidental, et semble prêt à dénoncer ses compagnons de galère pour sauver sa peau, que la jeune terroriste qui tente d’influencer le groupe. Et parmi eux, l’opposant (Souleymane Sow), dont la présence en grand sage dénonciateur est impressionnante. Une belle représentation de l’humanité, certes fraternelle, mais avec aussi ses désillusions et ses faiblesses.
Dans cette église, le huis-clos prend une forme théâtrale d’une grande force dramatique. Les échanges d’un réel pessimisme sur l’état du monde donnent au film des airs de parabole et interrogent.
Ermanno Olmi et Michael Lonsdale, tous deux nés en 1931, forment un duo impressionnant dans leur engagement inlassable en faveur des causes justes. C’est peu dire que Michael Lonsdale est éblouissant dans ces habits religieux : Olmi lui a sans doute offert un des plus beaux rôles de sa carrière. Cet immense acteur nous avait déjà fortement impressionnés comme homme de religion dans Des dieux et des hommes de Xavier Beauvois. Mais aussi dans Les Hommes libres réalisé par Ismaël Ferroukhi, où il incarnait avec une force spirituelle étonnante le recteur de la mosquée de Paris, qui délivra pendant l’occupation nazie des faux papiers aux juifs.
Michael Lonsdale est accompagné dans Le Village de carton par Rutger Hauer – un acteur néerlandais que nous avions déjà beaucoup aimé dans La Légende du saint buveur. Bien sûr, face à Michael Lonsdale, et avec toute la sobriété requise par son rôle de sacristain, il lui est difficile de surprendre. Les acteurs africains, eux, sont tous saisissants de vérité. Et Ermanno Olmi n’a rien négligé dans son film, notamment en confiant la partition musicale à la compositrice russe Sofia Gubaidulina, également née en… 1931 !
Dans une actualité proche où nous venons de vivre, en octobre 2013, « le drame de Lampedusa » avec ses trois cent cinquante immigrants érythréens et somaliens, péris en mer, et d’être alertés par le calvaire des exilés érythréens, otages dans le Sinaï, Le Village de carton apparaît comme une œuvre douloureuse et profonde, mais aussi comme un film salutaire. De plus, par son côté symbolique, cette œuvre est un conte humain bouleversant – dont la morale est : « Ou nous changerons le cours de l’histoire, ou c’est le monde qui nous changera. »
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