Le 22 décembre 2012
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Une année politique et marquante...
Une année politique et marquante...
A défaut d’avoir fréquenté assidûment les salles ces dernières semaines, je dois me contenter d’une impression : celle d’une année politique, où le cinéma n’a pas eu peur de s’engager. En dépit d’un bon nombre de films racoleurs et didactiques, engendrés par la crise comme autant de symptômes et inaptes à pressentir la complexité du monde, 2012 a heureusement offert au public des oeuvres à la hauteur, capables de recul sans rien sacrifier à leur force. Même lorsqu’ils n’ont pas choisi un angle d’approche délibérément politique, les cinéastes de ce top l’ont fait avec audace, refusant de se plier au format du divertissement ordinaire et de se lover dans le conformisme rampant qu’imposent les contraintes économiques pesant sur la création. Ainsi Holy Motors ou Faust, qui ont en commun leur vision ambitieuse du monde et leurs partis pris esthétiques assez radicaux, sans pour autant être apolitiques : car la nostalgie filmique de Carax n’est pas celle d’un amateur de vieilles ficelles ; c’est celle d’un amoureux du cinéma ’’populaire’’, de ce cinéma qui prétend répondre à des interrogations universelles. Faust montre également que le pouvoir n’est pas si abstrait que ne le laissent entendre certains médias ou hommes politiques : dans cette oeuvre, la porosité entre les questions métaphysique, la sexualité, la science et l’exercice du pouvoir est importante. Ces oeuvres ont su redire à quel point il était regrettable de faire du cinéma un simple secteur indépendant des autres, un langage codifié à l’attention d’un public formaté.
A contrario, même lorsqu’elles ont choisi pour angle d’attaque un domaine plus circonscrit, les oeuvres de ce top l’ont fait pour interroger un ’’au-delà’’, un dépassement. En suivant de près des personnages aux itinéraires précis, Captive dresse le constat global d’une perte d’influence des Etats, qui profite à un terrorisme "mondialisé" et entraîne l’indifférence des publics. La métaphore est également pregnante dans Rebelle, où la guerre apparaît comme le prélude à une expérience identitaire intense, puisque l’enfant de Komona cristallise les tensions de l’intrigue et invite le spectateur à porter son regard vers l’avenir, au lieu de l’enfermer dans le prisme étroit d’une analyse de type "culturaliste". Dans Au-delà des collines, c’est également à partir d’une expérience individuelle et religieuse que Mungiu défait les mécanismes d’une société où la crise engendre du rejet et de l’incompréhension. Ces films ont su, à leur manière, capter un état du monde en dépassant les particularismes, en les condamnant parfois de manière explicite, en suggérant la dangerosité d’un monde où chacun n’est laissé qu’à soi-même.
Cette critique des particularismes va de pair avec celle des explications sectorielles. Il n’est pas anodin que dans Amour, les personnages refusent la solution d’une aide médicale spécifique. Cette décision implique une aspiration à retrouver de l’harmonie à la marge d’un monde social où chacun exerce une fonction sur des objets. Dans Moonrise Kingdom, le personnage d’Action sociale est porteur d’une menace paradoxale, puisqu’en voulant apporter une solution toute prête à la crise, il se rend coupable d’un arrachement identitaire et amoureux. Sous-jacente, la critique d’une sectorisation des activités a donc habité nos oeuvres, leur donnant cette couleur humaine et cette originalité qui a tant manqué à d’autres.
C’est pourquoi on pourra voir dans cette critique une mise en garde : contre la dépolitisation, contre le repli sectoriel ou identitaire. C’est ce que suggère la fin de Take Shelter, où l’attente du spectateur est déjouée, où sa compréhension du personnage en des termes psycho-sociaux apparaît vaine. Et ce n’est pas un hasard si, dans Millénium, l’enquête est résolue par des êtres à la périphérie du monde policier : la vérité n’appartient plus aux inspecteurs ; elle est à chercher dans les zones d’ombre où la méthode est inopérante, où seul l’affect a prise.
1 Au-delà des collines (Cristian Mungiu)
2 Take Shelter (Jeff Nichols)
3 Amour (Michael Haneke)
4 Rebelle (Kim N’Guyen)
5 Holy Motors (Leos Carax)
6 Faust (Alexander Sokourov)
7 Moonrise Kingdom (Wes Anderson)
8 Captive (Brillante Mendoza)
9 Millénium (David Fincher)
10 Gogo Tales (Abel Ferrara)
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