Le 10 mars 2025
Une mise en abyme vertigineuse et une œuvre de plus qui dénonce sans concessions les ravages de la dictature iranienne. Du très bon cinéma, à la fois expérimental et politique dans le meilleur sens du terme.


- Réalisateur : Ayat Najafi
- Genre : Documentaire, Expérimental, Politique
- Nationalité : Français, Iranien
- Distributeur : DHR - À Vif Cinémas
- Durée : 1h25mn
- Titre original : Aftab Mishavad
- Date de sortie : 12 mars 2025
- Festival : Festival de Venise 2023

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– Année de production : 2023
Résumé : Téhéran, octobre 2022. Une troupe de théâtre répète la comédie grecque "Lysistrata" d’Aristophane. Au cours d’une scène où les vieillards prennent d’assaut l’Acropole conquise par les femmes d’Athènes, la troupe apprend qu’elle est encerclée par la police anti-émeute qui marche autour du bâtiment pour réprimer une grande manifestation.
Critique : Le réalisateur iranien Ayat Najafi avait déjà réalisé deux longs métrages documentaires féministes. Football Under Cover (2008) abordait les problèmes rencontrés par les footballeuses iraniennes, quand No Land’s Song se penchait sur l’interdiction pour les Iraniennes de chanter en solo dans l’espace public. Le soleil se lèvera est dans la même veine, et a été tourné dans la clandestinité lors des manifestations qui ont suivi la mort en détention de Mahsa Amini, jeune femme arrêtée pour avoir refusé de porter le voile. Alors que les policiers répriment une manifestation, une troupe de théâtre dirigée par une metteuse en scène déterminée répète Lysitstrata, une comédie d’Aristophane qui relate la révolte de femmes contre le patriarcat. Le film de Najafi est bien un documentaire, même si la présence de la caméra et les enjeux qui se déroulent sous nos yeux peuvent faire songer au cadre semi-fictionnel du « documenteur ». Les répétitions sont intenses mais face à l’agitation extérieure, des questions se posent dans la troupe : faut-il continuer à répéter un spectacle quand la violence est à proximité ?
- © 2025 Rosebud Entertainment Pictures - À Vif Cinémas / DHR distribution. Tous droits réservés.
Si oui, la pièce ne doit-elle pas être jouée de façon plus tragique ? D’autres interrogations ont lieu, y compris sur la légitimité de la présence d’Ayat Najafi, traité de « touriste » par la metteuse en scène, et soupçonné de réaliser un documentaire opportuniste. La mise en abyme qui en ressort est vertigineuse, surtout lorsqu’on comprend que les forces de l’ordre peuvent faire irruption d’un moment à l’autre… Mais la puissance de ce long métrage singulier, et toute sa beauté, consiste dans ses cadrages et son montage, notamment dans la manière de filmer les corps féminins et masculins. Pour ne pas mettre en péril la sécurité des interprètes, le réalisateur ne montre quasiment jamais leur visage, et filme des jambes, des pieds, qui parfois se frôlent avec volupté, dans une audace érotique inimaginable pour le cinéma iranien. L’alternance des dialogues de la pièce, de propos sur la direction d’acteurs et de débats inhérents à la situation et au dispositif, mais aussi le noir et blanc succédant à la couleur, créent une mosaïque sonore et visuelle saisissante, que l’on ne saurait réduire à l’exercice de style expérimental.
- © 2025 Rosebud Entertainment Pictures - À Vif Cinémas / DHR distribution. Tous droits réservés.
Le film, rendu possible grâce à un disque dur caché dans une valise diplomatique, et au montage coordonné par la société de production Rosebud Entertainment Pictures, est soutenu par Amnesty International et Arts for Human Rights. Il faut dire que l’ensemble de l’équipe artistique et technique risque une peine de dix ans d’emprisonnement… Le soleil se lèvera confirme en tout cas la force de résistance artistique et politique au cœur du cinéma iranien, après les réussites des longs métrages Aucun ours de Jafar Panahi, Les graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof ou Mon gâteau préféré de Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha. Ce qui n’est pas rien compte tenu des ravages de la dictature des Mollahs.