Le 4 février 2025
Tout à la fois gracieux, délicat, tragique et cruel, Mon gâteau préféré fait passer le spectateur par toutes les émotions possibles au cinéma. Une œuvre iranienne absolument courageuse.
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- Réalisateurs : Maryam Moghadam - Behtash Sanaeeha
- Acteurs : Lili Farhadpour, Esmaeel Mehrabi, Mansoore Ilkhani, Soraya Orang
- Genre : Comédie dramatique, Romance
- Nationalité : Français, Allemand, Suédois, Iranien
- Distributeur : Arizona Distribution
- Durée : 1h36mn
- Titre original : Keyke mahboobe man
- Date de sortie : 5 février 2025
- Festival : Festival de Berlin 2024
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Résumé : Mahin a soixante-dix ans et vit seule à Téhéran. Bravant tous les interdits, elle décide de réveiller sa vie amoureuse et provoque une rencontre avec Faramarz, chauffeur de taxi. Leur soirée sera inoubliable.
Critique : Mahin est pour le moins une femme courageuse. Dans sans doute l’une des pires dictatures du monde, l’Iran, elle n’hésite pas à se mettre en travers de la police qui tente d’arrêter une jeune femme parce que le voile qu’elle porte ne cache pas suffisamment ses cheveux. Elle a pourtant en tête, comme nous, comme nous, les récentes manifestations populaires pour défendre le droit des femmes. Mais surtout, elle est capable de provoquer une rencontre avec un chauffeur de taxi de son âge, de l’amener chez elle et de réveiller sa vie amoureuse avec lui, avec le risque certain d’être dénoncée par des voisins qui assurent une certaine forme de police du quotidien.
Il faut avoir bien en tête que cette œuvre est iranienne. On a tous en effet en souvenir le massacre de ces jeunes qui ont tenté de défendre une étudiante ayant osé se dévoiler dans la rue, les militants politiques que le régime condamne tous les jours à mort, ou encore ces Européens qui croupissent en prison et servent de monnaie d’échange auprès des gouvernements occidentaux. Car cette soirée tendre qui s’engage avec les deux protagonistes raconte avec force la capacité d’un grand nombre d’Iraniens à composer avec les interdits officiels que leur impose le régime des Mollahs. Cela commence par inviter un homme chez soi quand on est âgée et que les enfants sont partis vivre à l’étranger, puis par déboucher une bouteille de vin et entreprendre une danse au milieu du salon. Tous ces gestes, pourtant si banaux pour un Européen, mis courageusement en scène, sont des délits sévèrement réprimés en Iran.
Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha prennent le risque de réaliser un film qui aborde frontalement l’ineptie des interdictions que le régime entend faire respecter. Derrière cette histoire bon enfant de deux personnes âgées qui se réinventent un amour le temps d’une soirée, les cinéastes lancent un véritable pied de nez aux autorités iraniennes. L’héroïne est filmée dévoilée dans sa propre maison. Elle se maquille, écoute de la musique et n’hésite pas à revêtir des robes séduisantes. Si l’histoire avait été tournée en France, on aurait été touché par la tendresse des liens qui se nouent entre deux personnes vieillissantes. Ici, le spectateur est progressivement happé par la peur de voir surgir la police ou une voisine bien pensante, prête à n’importe quelle dénonciation pour se faire apprécier du régime.
- Copyright Hamid Janipour
En même temps, l’intérêt majeur de ce film demeure la manière dont les deux cinéastes usent du registre de la romance et de la comédie dramatique pour mieux dénoncer la cruauté de la dictature iranienne. La tension s’amplifie au fur et à mesure que la soirée s’écoule, en dépit d’un esprit léger et gracieux qui caractérise une majeure partie de la narration. On comprend mieux à la fin du film pourquoi la Ligue des droits de l’Homme soutient Mon gâteau préféré qui en sus de décrire les conditions de vie des femmes iraniennes, appréhende savamment la manière dont les Iraniens parviennent à se construire des espaces de liberté. On apprend par exemple qu’ils fabriquent leur propre vin enterré dans leur jardin le temps de la fermentation.
Mon gâteau préféré demeure une œuvre impressionnante de courage. Elle brave les autorités iraniennes, au risque d’intenter à la sécurité des réalisateurs et des comédiens. Lily Farhadpour qui interprète cette héroïne n’est pas qu’une comédienne. Elle est connue aussi pour ses prises de parole en faveur de la condition des femmes en Iran, ce qui la conforte dans ce rôle à l’image de ce qu’elle est : une artiste engagée et courageuse. Naturellement, il ne faut pas s’attendre à une fin heureuse, la brutalité du régime des Mollahs nous rappelant à chaque instant que la liberté est un bien précieux et rare.