Chez ces gens-là
Le 3 mai 2005
Le musulman, petit roman d’importance, brasse les cendres d’une Russie rurale et incandescente. Une Russie où Dieu et Satan n’ont pas fini de souffler sur les braises.
- Auteur : Valéry Zalotoukha
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction
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Ajanovka, petit village de Russie, sa chambre d’hôtes, son magasin, ses champs, son église - plutôt ses églises -, sa rivière, son parrain, sa jeune fille légère, ses commères et sa maison, celle des Ivanov. L’histoire commence comme un mauvais reportage. Pas commode, les Ivanov, d’ailleurs. On les craint jusqu’à Moukomolovo. D’abord, il y a le père, Gricha, qui a fini par se pendre tellement qu’il a bu. La mère, Sonia, ravagée tout d’un coup par le poids des années, le deuil et les litres de tord-boyaux. Ensuite, il y a l’aîné, Fedka, ivrogne lui aussi, qui est méchant comme une teigne, qui ne fait rien de ses dix doigts mais qui n’a marié personne. Et puis, il y a Nikolaï, le héros silencieux, alias Kolia, Kolka, Abdulhah ou Abdallâh. Profusion de prénoms et autres diminutifs, c’est selon. Rien de plus normal jusqu’ici, il s’agit de littérature russe.
Un tapis sous le bras, notre héros rentre chez lui après avoir fait, des années, la guerre aux Afghans. Comme son frère, il a passé quelques temps en prison mais c’était pour la bonne cause, lui, pour défendre son pays. Alors, forcément, même vaincu, il est promu héros par la patrie reconnaissante, décoré et adulé par tous les hameaux du coin. En plus de ça, il travaille dur et ne fanfaronne pas. Pour dire vrai, il se tait. De fils prodigue, il est devenu gendre idéal. Forcément. Enfin presque. Paraît qu’il aurait épousé une nouvelle religion comme on dit. Tous les jours, il prie Allah. Cinq fois. Pas grave, dans le fond. Pas grave, sauf qu’il refuse le moindre verre de vodka. Dans une campagne profonde et postsoviétique, forcément...
Bien sûr, les échos à l’actualité de la Russie d’aujourd’hui, aux injustices sociales, aux ravages du capitalismes, aux rapports tourmentés que cet empire de toujours entretient avec l’islam ou encore avec la foi en général, résonnent bruyamment sous la plume de Valéry Zalotoukha. Mais, héritier d’une lignée de romanciers incontournables, il continue de creuser la question qui n’a cessé de tourmenter ces écrivains venus de l’autre côté de l’Europe, celle de l’âme humaine. Entre opium du peuple et mentor du bien-mourir, il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que Dieu soit invité à la table de cette microsociété à laquelle bien d’autres, plus grandes et plus proches, lui ressemble. Zalotoukha ne juge pas, ne se tourmente pas avec des questions psychologiques, esquisse ses personnages juste ce qu’il faut mais prend le plus grand soin à décrire chaque lieu, n’omettant aucun détail d’importance. Pour couronner le tout, en quelques pages à peine, il se frotte à plusieurs styles, réalisme, fantastique, sarcasmes, bouffonneries, suspense, poésie... C’est ce qu’on appelle un très bon livre.
Valéry Zalotoukha, Le musulman (traduit du russe par Catherine Guetta et Macha Zonina), Actes Sud, 2005, 147 pages, 16 €
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