Le 16 janvier 2006
Une vie passée à défendre la pensée contre la bêtise, à tenter de comprendre le monde, à désespérer, parfois, de l’humain. Léon Werth aura été de tous les combats, parfois seul contre tous.
L’insoumission fut toujours pour Werth une règle de vie et d’intégrité. Ne jamais accepter sans comprendre, refuser les étiquettes, le prêt à penser, mettre la pensée, justement, à l’épreuve de la vie. Antimilitariste, anticlérical, antipatriotique... il s’est opposé à tout ce que le monde compte de dogmes et de certitudes. Anarchiste ? Peut-être. Humaniste, surtout, un humanisme qui lui aura fait aimer éperdument l’homme pour ce qu’il devrait être, et le haïr pour ce qu’il est.
Werth avait une conception intransigeante de la façon d’être au monde, sans jamais s’embarrasser de doctrines. Simone de Beauvoir lui reprochera son non-engagement communiste, et il devra renoncer au voyage en URSS faute d’être inscrit au parti. Peu importe. L’essentiel est de rester fidèle à soi-même, ne pas céder au chantage idéologique. Car refuser la pensée commune, c’est mettre sans cesse ses idées en chantier, sans cesse les éprouver, les découdre pour en voir le revers, la doublure cachée qui en pervertit l’essence. Il fustige ainsi la mollesse des bourgeois humanistes qui "acceptent l’Eglise à leur mariage, au baptême de leurs enfants, à leur mort. Si on leur dit qu’être « réactionnaire », c’est précisément cette acceptation et que l’Eglise n’en demande guère plus, ils sourient". Pour lui, s’engager ou pas est une démarche active. Il n’y a pas d’action "par défaut".
Le service militaire, qu’il effectue au début du siècle, fendille un peu ces certitudes, et le renvoie à l’indispensable clivage entre le monde militaire et le monde extérieur. La caserne est un univers avec ses règles, ses rituels et les sanctions qui les accompagnent. "Faut pas chercher à comprendre", philosophe avec sagesse un camarade de chambrée. Court, le soldat, l’alter ego de Werth dans Caserne 1900, n’a pas l’habitude de marcher au pas et il lui manque encore l’expérience qui lui apprendra que la liberté est celle de l’esprit, même si le corps est contraint. La contrainte, pour Werth, c’est celle de la discipline, de l’obéissance indiscutable qui ne trouve sa justification que dans le principe de hiérarchie. "Le vrai militaire garde toute sa vie un cerveau d’enfant, du seul fait que chacune de ses infractions comporte une sanction. Il n’est jamais responsable devant lui-même. Il ne connaît plus ni bien ni mal, mais récompense et châtiment." Werth croit par dessus tout à la puissance de la pensée, de l’intelligence. La caserne lui apprendra qu’on peut y substituer celle des galons. Pour lui, au delà de l’humiliation, de la folie hiérarchique, c’est une négation de l’humanité, une glorification de la bêtise.
En Don Quichote convaincu, Léon Werth la pourfendra aussi, sous toutes ses formes. Celle, robuste et éclatante du maçon de Maubeuge, "si vivace, si prête à réagir à tout, qu’elle y semble comme une passion", la bêtise suffisante et satisfaite du colon (dans Cochinchine) dont le seul mérite est d’être blanc, et de sa femme, qui subit les colonies comme une purge, et soupire, sur le pont du bateau, "de Saïgon à Shangai, je n’aurai plus de bridge. Il faudra bien que je lise". Sans compter celle des politiciens, des critiques, des mondains, des bourgeois, de tout ce que le monde compte de fatuité, de jugements définitifs, de mépris de l’autre. "Je suis tenté de me demander", écrit-il, "s’il n’y a point entre tous les gouvernements et ma propre personne, une insurmontable incompatibilité." Il avait peut-être là mis le doigt précisément sur ce qui fait la force des esprits libres : la haine qu’ils éveillent en tous ceux qui représentent l’ordre établi. Pas d’états d’âme quand il s’agit de défendre ses idées, et tant pis si ça ne plaît pas à tout le monde. Au bout du combat resteront les vrais fidèles, ceux que l’esprit n’effraie pas, ceux qui ne craignent pas de n’être point infaillibles et qui, cent fois, repensent le monde pour le comprendre, l’écrire, laisser une trace, et jamais, jamais ne se laissent étourdir par les faux dévots.
Léon Werth, Caserne 1900, éd. Viviane Hamy, 117 pages, 13 €
Léon Werth, Cochinchine, éd. Viviane Hamy, coll. "Bis", 248 pages, 9 €
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