Le Jour où la nuit s’est levée – Beka, Marko, Maëlla Cosson - chronique BD

Dans cette nouvelle aventure, nous prenons une direction différente. Alors qu’avant, le mouvement et le temps permettaient aux protagonistes (Clémentine, Guillaume...) de prendre du recul sur leur vie, cette fois-ci, l’action se ramasse dans un lieu unique et sur une seule nuit.
On retrouve donc Clémentine et Sacha mais aussi Chantal ou encore Guillaume et Naori, rencontrés dans les tomes précédents. Se joignent – involontairement – aussi à cette nuit d’échange et de partage plusieurs nouvelles têtes.

Chacun va se dévoiler, et surtout dévoiler son enfance, sa relation – bonne et souvent mauvaise – avec ses parents et l’impact que cela a eu sur sa vie jusqu’à aujourd’hui.
Tous vont se prêter au jeu, et l’on va découvrir différents parcours complexes qui ont entraîné pour chacun diverses conséquences qu’ils doivent encore gérer actuellement.

Beka, Marko, Maëlla Cosson - Bamboo

Le duo Béka a su construire un récit subtil car il ne s’agit pas de parents alcooliques, drogués, violents ou autres addictions ayant des conséquences dramatiques reconnues par tous mais bien de parents traînant eux aussi des défauts, des peurs, des craintes, des angoisses qu’ils font rejaillir, parfois involontairement, parfois en espérant changer la donne, sur leurs enfants. Ces derniers n’ont malheureusement pas les moyens de surmonter cela et n’en ont souvent même pas conscience. L’impact est souterrain, latent, et ce n’est qu’une fois adulte que chacun comprend ce qui l’a marqué.

Si dans les précédents tomes, il y avait une personne extérieure (comme Antoine, évoqué aussi dans cet album) qui pouvait permettre au protagoniste de se poser et réfléchir, ici, tout le groupe joue le rôle de regard extérieur pour l’un d’entre eux. Mais chacun semble déjà bien conscient de ce qui l’a marqué, - un pas énorme qu’ils ont accompli individuellement -. Par conséquent, le groupe tient plus le rôle, non pas de révélateur des sources du mal-être mais de conseiller, apportant des pistes de solution, de réflexions pour résoudre le problème.

Alors que dans les autres tomes, le mouvement, le voyage, la durée permettaient de prendre du recul, là, l’action ramassée sur une nuit empêche ce temps de s’installer. Pourtant, un voyage quasi-onirique prend place tard dans la nuit et ouvre des portes, non pas de la perception – quoique – mais de la décision. La décision d’aller mieux, de lâcher ce qui était trop lourd, pour avancer léger et plus serein.
On sait que ce ne sera pas si facile pour les différents protagonistes, et que ce premier pas est le début d’une longue marche mais il était nécessaire pour pouvoir continuer à évoluer.

Beka, Marko, Maëlla Cosson - Bamboo

Le dessin de Marko et les couleurs de Maëla se marient excessivement bien et c’est avec plaisir que l’on retrouve les visages de Clémentine, Chantal et leurs comparses. L’ambiance nocturne, douce, de cette librairie amicale et chaleureuse, même au cœur de la tempête de neige, nous invite à nous poser pour profiter de cette atmosphère ouatée. La nuit bleutée, après la tempête, éclairée par les lampadaires de la ville, contraste avec le jour dru, sec où la neige frappe en bourrasques. Les couleurs de Maëla favorisent ces moments et renforcent leur impact émotionnel.

Les expressions des personnages, la colère mêlée à la tristesse cachée de Maud, la lueur d’espoir dans les yeux de Noé, la distance froide et cynique de la mère de Guillaume, tout se marque dans les regards mais aussi dans les attitudes des corps. La dépression de Naori sous forme de nuage d’encre noire vorace reflète bien la dépression qui s’est abattue sur elle.
Les personnages, les décors, les situations sont travaillés et rendus avec force par le trait de Marko.

Le Jour où T5 La nuit s’est levée est une belle suite aux aventures de Clémentine. La jeune femme passe le relais et devient ce regard extérieur éclairant les autres, tout en avançant encore sur son propre chemin de vie. Un tome différent des précédents par le huis-clos qui s’installe et l’unité de temps, mais qui permet de prendre conscience des déficiences que notre éducation a pu nous apporter parfois sans même que nous ne nous en rendions compte.