Charlot, ce monde n’est plus le tien
Le 29 juillet 2019
Dans une étrange fable qui oscille constamment entre humanisme grotesque et anthropophobie lyrique, Maxime Giroux pose sur le monde un regard désenchanté qui fait froid dans le dos.
- Réalisateur : Maxime Giroux
- Acteurs : Romain Duris, Reda Kateb, Martin Dubreuil, Soko, Sarah Gadon
- Genre : Drame
- Nationalité : Canadien
- Distributeur : Ligne 7
- Durée : 1h34mn
- Titre original : La Grande Noirceur
- Date de sortie : 21 août 2019
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Résumé : Quelque part dans le monde, une guerre fait rage. Terrifié à l’idée d’être mobilisé, Philippe a fui Montréal pour se réfugier dans un Ouest américain aussi sauvage qu’hypnotisant. Il vit tant bien que mal de concours d’imitation de Charlie Chaplin. Mais la cruauté de l’humanité ne se limite pas aux champs de bataille, et Philippe ne va pas tarder à découvrir la face obscure du rêve américain.
Notre avis : Existe t-il, aux yeux des cinéphiles que nous sommes, une allégorie plus consensuelle de ce que l’humanité a de plus noble qu’un sosie de Charlie Chaplin ? C’est en tous cas ainsi que Maxime Giroux a choisi d’identifier son personnage principal, faisant le pari que l’on se plaira bien plus facilement à suivre Martin Dubreuil dans ses errances, dès lors que celui-ci est grimé en un ersatz de Charlot.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que la version française de ce film canadien (et donc très majoritairement francophone) fait de ce personnage le rôle-titre, quand la version originale s’intitule La Grande Noirceur. Le distributeur français douterait-il du pouvoir d’identification que ce seul costume procure à cet individu, prénommé Philippe, et dont le seul charisme ne suffit pas à susciter une véritable empathie ? Ce qui est sûr, c’est que les producteurs outre-Atlantique avaient cerné que la finalité du film était moins dans ce personnage de bouffon vagabond que l’on suit, que dans le monde étrange qui l’entoure.
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Ainsi, comme le laisse comprendre le titre (français), c’est en voulant fuir l’horreur de la guerre que Philippe est parti se confronter à cet ailleurs, dont le titre (canadien) n’annonce rien de réjouissant. On suppose d’ailleurs que la guerre en question est la Seconde Guerre mondiale, bien que celle-ci ne soit jamais précisément désignée. Cette absence de contextualisation, ou du moins son caractère très nébuleux, est pour beaucoup dans le sentiment d’universalité sur lequel repose l’odyssée qui s’engage, afin de lui offrir le statut de véritable conte.
Et, c’est en suivant le schéma classique du road trip que notre personnage va aller de rencontre en rencontre, toutes plus surréalistes, et donc métaphoriques, les unes que les autres.
S’il n’est pas pertinent de réfléchir ici à ce que symbolise chacun de ces individus plus ou moins loufoques, on constate que l’humanité à laquelle Philippe se confronte semble de plus en plus belliqueuse, voire maléfique. Et la mise en scène participe avec un certain aplomb à faire des magnifiques paysages désertiques un microcosme aussi bien mystique qu’oppressant. La fameuse Grande Noirceur est là, dans cette perte de repères qui mène notre sympathique personnage vers une horreur qui n’a rien à envier à celle qu’il aurait découverte sur les champs de bataille.
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On pourrait un temps penser que ce que Giroux nous raconte est l’histoire d’un retour de manivelle du destin, faisant du voyage de Philippe une représentation poétique de ce qu’il vivrait s’il était parti à la guerre, d’abord flatté par ses dirigeants puis témoin des exactions les plus déshumanisantes. Mais cette lecture change lors de la rencontre finale, avec un marchand de cigarettes, qui peut sembler apaisante après celle d’un Romain Duris quelque peu excessif en tortionnaire. Pourtant, il est difficile d’affirmer que l’un est plus agréable que l’autre.
Pour faire simple, le réalisateur nous explique que le capitalisme n’est en fin de compte pas beaucoup plus bienfaisant que les crimes de guerre. C’est donc bien du monde moderne qu’il nous parle, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’en dit pas du bien.
Ainsi, si Philippe, ou plutôt le Charlot de pacotille qu’il incarne, reste une lueur d’espoir, le conte qu’a mis en place Maxime Giroux est d’un fatalisme, voire d’une misanthropie effroyablement radicale. Et ce monde en déclin qu’il décrit n’aurait même pour seule et unique échappatoire que la magie du cinéma. Or, cette idée, on ne peut que la partager.
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