Le bruit du givre - La chronique BD

Alice voulait un enfant. Samuel Darko n’en voulait pas. Alors Alice est partie et Samuel s’est fait envahir le crâne par des oiseaux noirs, avant de se retrouver complètement dans l’obscurité. Son nom y était peut-être pour quelque chose. Mais pas autant que sa peur de voir de nouvelles couleurs se mélanger à son amour. La peur de la vie, tout simplement. Parti à la recherche de celle qu’il avait aimée, il va réapprendre à regarder le monde. Un voyage initiatique sur fond de légende chinoise, celle de Liu, guerrier invincible qui décide un jour de laisser envahir ses terres, parce qu’édifier sans cesse des murailles lui semble vain. Alors Darko fera tomber son mur, en silence, juste dans le bruit du givre. Dans des cases où les couleurs, jusqu’alors vives, se sont estompées peu à peu, il dira son amour de la vie. Certaines choses sont si belles que le noir et blanc leur suffit.

Signé Jorge Zentner et Lorenzo Mattotti, Le bruit du givre est un livre d’images avant d’être une bande dessinée. Il se déroule dans des pages à l’architecture figée - deux cases de taille identique par planche, de très rares phylactères et un même espace dans leur partie supérieure réservé à la voix de Darko. Une séparation stricte des mots et des dessins, qui ne les empêche pas de se compléter et qui, comme pour mieux marquer le tempo lent de la quête du personnage, ralentit le rythme de lecture.

Couleurs fortes - oranges, rouges, roses, verts, bleus -, lignes dures, jeux sur la lumière et les contrastes, corps élastiques et étirés, atmosphères changeantes... à chaque instant éclate le talent de Mattotti [1]. Dont l’audacieux decrescendo vers le noir et neige final, entre autres bonheurs, témoigne de la grande liberté prise avec le récit. Loin de nuire au scénario, l’imagination du dessinateur parvient, au bout du compte, à écrire la même histoire que Zentner, mais en empruntant des chemins différents. Le bruit du givre est à lire et surtout à relire. En se limitant alors à sa seule partie graphique. Les couleurs de la vie s’y déploient tout en beauté.