Le bébé eskimo - la critique

Asta Nielsen en jeune femme eskimo catapultée dans la bonne société allemande : drôle et pas si inoffensif.

L’argument : L’explorateur Knud Prätorius ramène du Groenland une jeune femme eskimo, Ivigtut, et l’installe chez lui au grand dam de sa famille et de sa fiancée.

Notre avis : Bien que sorti seulement en 1918, Das Eskimobaby fait partie, comme Das Liebes-ABC ou Die Börsenkönigin, de la série de huit films interprétés et coproduits par Asta Nielsen en 1916 pour la Neutral-Film GmbH après la fin de son contrat avec la PAGU.

Das Eskimobaby (1916)

C’est une franche comédie qui permet à l’actrice de démontrer ses dons burlesques en interprétant un étonnant rôle de composition : celle d’une jeune femme eskimo catapultée dans l’univers très policé de l’Allemagne wilhelminienne, un monde inconnu dont les codes lui échappent et dans lequel, emmitouflée en permanence dans une espèce de combinaison qui efface les formes du corps et la fait ressembler à un avatar de Bibendum, elle fait parfois l’effet d’un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Une scène particulièrement drôle, filmée et mise en scène avec un remarquable sens de l’espace, la montre dérober des vêtements dans un grand magasin et les cacher dans ses poches après avoir rapidement regardé à droite à gauche, croyant naïvement passer inaperçue malgré son accoutrement insolite.

Das Eskimobaby (1916)

Ce personnage sans complexes, à la maladresse touchante et ignorant le contrôle de soi que réclament les conventions bourgeoises fait rire par son inadaptation mais force en même temps la sympathie du spectateur par sa spontanéité et son visage enfantin sur lequel tous les affects (joie, tristesse, envies soudaines) s’expriment immédiatement et sans aucune censure.
Du coup c’est l’univers qui l’entoure qui finit par sembler étrange selon un principe de retournement bien connu que le film exploite efficacement mais sans forcer la satire, le ton de l’ensemble restant bon enfant et dénué de méchanceté.
Pourtant les questions embarrassantes ne sont pas esquivées et l’attitude du jeune anthropologue qui a ramené Ivigtut du Groenland est très équivoque
(et même peu vraisemblable, mais c’est avant tout une astuce de scénario destinée à permettre un coup de théâtre final). La considère-t-il comme un objet d’étude comme le suggère la scène où il la présente à une assemblée de savants lors d’une conférence ? Est-elle pour lui un genre d’animal de compagnie qu’on ne peut tout à fait traiter comme une personne adulte et qu’on confine dans sa chambre lorsqu’on reçoit du monde ? (Bien entendu elle ne se tiendra pas à la consigne et fera une apparition fracassante au cours de la soirée mondaine).

Das Eskimobaby (1916)

Bref, cette gentille comédie n’est pas aussi inoffensive qu’elle veut le laisser croire. Elle n’en est que plus réjouissante.