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Le 31 mars 2004
En l’observant à travers sa peine limpide et coupante comme le diamant, une femme quittée met son amour à mort.
En l’observant à travers sa peine limpide et coupante comme le diamant, une femme quittée met son amour à mort.
"Quelqu’un m’aime à Paris : je reviendrai", pense Marcelle Sauvageot dans le train qui la ramène au sanatorium dont on sait, nous, qu’elle ne reviendra pas. Dans cette phrase est contenue l’essence de ce récit à vif : l’amour seul fait exister et le sentir, le savoir, ne pas en douter. L’amour invente et protège. L’amour sauve. Or il arrive que l’amour se dérobe et vous reprenne en une seconde - le temps de lire cette autre phrase clé du livre "Je me marie... Notre amitié demeure" - l’espoir, l’avenir, la vie même.
Se trouve donc rompu le fil qui la reliait à une vie pleine malgré la maladie, où même l’attente était volupté. D’autres auraient fait scandale, demandé pourquoi, peut-être supplié. Mais Marcelle Sauvageot, cette femme d’autrefois, morte dans les années 30, possède la lucidité des condamnés, ce regard absolument juste et implacable sur autrui autant que sur elle-même. La souffrance a chez elle une longue habitude de toux rauque, d’insomnie, de peur lisible sur les visages de ses compagnons d’infortune, audible d’une chambre à l’autre dans les nuits où tout est amplifié. Son amant, celui qui la tenait en vie, lui annonce qu’il aime ailleurs, qu’il la quitte ? La voilà qui entreprend de rompre avec l’amour, pour ne pas avoir mal de perdre cet homme-là, assez lâche pour proposer l’amitié après la passion. Elle va alors recenser une à une les illusions, identifier les faux-semblants, faire le point sur les défauts plutôt que sur l’apparence lisse et les contours avantageux.
Peu à peu et tandis qu’on frissonne tant cela résonne en nous, se dessine un portrait de l’homme en creux, un catalogue précis des renoncements et des mensonges qu’il se raconte pour oser être heureux envers et contre celle qu’il a cessé d’aimer. L’a-t-il aimée, d’ailleurs, ou bien a-t-il été fasciné par cette incandescence que donne le temps compté, l’air rare et précieux ? Et elle, ne s’est-elle pas arrangée des irritations et des dégoûts qu’elle n’invente pas, que le désir de bonheur l’avait simplement aidée à ignorer ? Elle l’admet, et c’est toute la noblesse de cette âme meurtrie, qui entendait concilier abandon et lucidité.
À la hauteur de la souffrance, l’œuvre de destruction du mythe amoureux est tellement glacée, tellement impitoyable qu’on en vient à prendre l’ex-amant en pitié : pauvre papillon épinglé sur la page avec ses couleurs poudre aux yeux, ses battements d’aile pathétiques. Lui aussi veut vivre, comme nous tous ; il ne se sait pas cruel, se croit même généreux. Que celui ou celle qui n’a jamais cherché des excuses à un désamour brutal en arguant d’incompatibilités, de failles jusqu’alors acceptées ou même pas vues, lui jette la première pierre....
Marcelle Sauvageot, Laissez-moi (Commentaire), Phébus, 2004, 125 pages, 10 €
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