Le 22 mai 2014
- Scénariste : Patrice Ordas>
- Dessinateur : Laurent Gnoni
- Editeur : Grand Angle
- Famille : BD Franco-belge
- Date de sortie : 1er avril 2014
La Vénitienne est une sombre histoire prenant place dans la Venise des Doges du quinzième siècle. Complots, enlèvements et trahisons sont au programme de ce premier tome intitulée la Colombe Noire.
Résumé :
La jeune Constantza, nièce du tout-puissant mais désargenté Doge de Venise, mène une vie plutôt libre de plaisir et d’aventures - sentimentales s’entend, enfin sexuelles, plutôt - jusqu’au moment où son chemin croise celui du Barbier, le malandrin - si tant est qu’un kidnappeur de femmes riches et meurtrier sans état d’âme puisse être qualifié ainsi – le plus dangereux de Venise. Heureusement, un homme, Le marquis Aurélio Casaponti, ami de la jeune noble, va se dresser contre le Barbier pour la sauver, enfin, au moins essayer...
Notre avis :
Après un démarrage original, l’intrigue reprend un cours un brin classique. Attention, lecteur, si tu t’avances dans la suite de cet article, tu pourrais tomber sur certains éléments de l’intrigue dont la découverte te gâcherait une partie de ta lecture.
Maintenant que te voilà prévenu, en avant ! La présentation du capitaine Ferragamo, puis celle du Barbier et de sa bande, avant d’arriver à Constantza et son père puis à Aurélio, rompt avec l’exposition standard qui se doit de commencer par les héros. Ce qui est assez agréable. Malheureusement, la ressemblance entre le capitaine et le barbier, ainsi que l’enchaînement de leurs deux séquences d’exposition créent une certaine confusion qui m’a entraîné à confondre un temps les deux hommes. Alors qu’en réalité, malgré cela, ils n’ont rien à voir l’un avec l’autre. A moins qu’on ne découvre dans le tome deux qu’ils sont frères jumeaux séparés à la naissance, mais ce serait une autre histoire.
Après cela, le récit reprend une tournure classique, sans doute due aux caractères des personnages qui ne révèlent aucune surprise et sont assez manichéens. Constantza, bien que respectueuse du peuple de Venise, est volage – à mon avis, cela va changer et elle va prendre conscience de bien des choses dans le tome deux, mais rien d’étonnant – et l’on a du mal à s’attacher à ce personnage. Le Barbier est une crapule qui mène à coups de règles sadiques ses troupes, il est difficile de s’attacher à ce coquin dépourvu de charisme et d’ambition. Le capitaine reste trop au second plan pour vraiment attirer notre attention. Aurélio Casaponti, généreux, loyal, bien que libertin - et encore, ça reste à prouver - manque également d’un peu de profondeur pour devenir vraiment intéressant. On ne parle pas de l’hypocrite en chef, à savoir le légat du pape, juste bon à jouer les fourbes religieux, un personnage type comme on l’a déjà vu de nombreuses fois ailleurs et son homme de main, aussi aimable - dans tous les sens du terme – qu’une porte de prison.
Cette absence de personnage empathiques crée un manque dans la narration. On suit l’histoire de loin, sans se retrouver vraiment impliqué dedans.
Une des autres raisons à cela et le manque de surprises au long de ce premier tome. L’intrigue nous ménage et suit son bonhomme de chemin. Je ne mentionnerai pas le seul moment étonnant mais à mes yeux, il n’y en a qu’un.
Enfin, les événements forts qui auraient pu nous emmener ne fonctionnent pas à cause de leur mise en scène. Prenons l’exemple de Donna Alba, un personnage secondaire dont le court passage pourrait pourtant nous toucher. Mais au final, on ne la voit jamais d’assez près pour retenir son visage, ses traits. C’est dommage car en nous rapprochant de ces personnages, en nous les rendant attachants, l’histoire de Patrice Ordas nous aurait bien plus touchée et du coup, nous aurait tenu en haleine.
Tous ces éléments combinés provoquent une distanciation qui, à mon avis, n’est pas volontaire et qui me tient loin de cette intrigue et du coup, peu me chaut le destin de Constantza.
A mes yeux, un autre élément s’ajoute à ce souci dramaturgique : le graphisme.
Laurent Gnoni a fait un choix fort en adoptant un style réaliste doté d’effets de « croquis ». Je veux dire par là que souvent, certaines parties des dessins sont schématisés. Silhouettes dépourvues de visage, ombres hachurées plus que noircies, corps aux parties esquissées... Le souci, c’est que ces choix graphiques ne sont pas permanents mais alternent avec un traitement vraiment réaliste. Cela donne un effet néfaste, par exemple, certains personnages ne sont pas faciles à reconnaître. Prenons l’exemple du capitaine et du Barbier. Si d’autres ont des traits caractéristiques qui les identifient rapidement, comme la blonde Constantza ou la Rouge et sa chevelure rousse, certains sont difficilement reconnaissables. On citera l’oblat qui accompagne le légat, et qu’on suppose identifier à sa carrure de mastodonte.
Pour moi, c’est parfois difficile de rentrer dans ce choix. Les personnages arrivent à être très expressifs par moments, du coup, leur côté schématique à d’autres endroits frappe d’autant plus. Des cases offrent des dessins très beaux, comme le visage de Constantza face au légat, ou celui de la jeune femme dans sa tenue « souriante » face à son père. Mais là encore, ses yeux passent du vert au bleu.
De la même manière, les corps ont un dynamisme fort, souvent marqué par le choix des angles de vue et puis soudain, des perspectives faussées, pour faire ressortir un visage, créent une impression de faux. Par exemple, la case où Constantza réajuste ses bas et l’on voit au fond son père offusqué dans la profondeur entre ses jambes. Une très belle et simple idée de cadre sauf que... L’on devrait voir le pan de la robe qui masquerait normalement le visage du père !
Le cadrage d’allure classique nous prépare de belles pages. Le découpage mosaïque de l’arrestation des étudiants, les cases d’où les personnages débordent lors de l’agression de L’oblat et d’Aurélio entre autres. De même, les angles de vues choisis, souvent axés sur des plans larges ou plus serrés, laissent de temps en temps la place à des plongées ou des contre-plongées très énergiques qui renforcent l’action !
Les couleurs sont dans des teintes réalistes, tirant vers les ocres ou les foncés. Seuls quelques scènes fortement éclairées et le « bal de l’écarlate » organisée par Constantza qui nous offre une palette de rouges claquants, contrastent avec l’ambiance du reste de l’histoire.
De même, les plans de nuit offrent un vrai travail de l’ombre et de la lumière, que l’on regrette quand on voit d’autres ombres projetées tracées à l’aide de hachures. Là encore, l’alternance crée une distanciation.
La Vénitienne nous raconte une histoire qui mériterait d’être encore plus creusée, afin de nous rendre attachant les aventures du Marquis Casaponti. De même, la particularité du choix graphique gagnerait à être approfondie voire même plus marquée car elle semble trop hésitante entre une ligne réaliste classique et une direction tirant vers une schématisation réaliste originale. Espérons que le tome deux nous réserve de belles surprises qui rendront un bel hommage au travail du duo Ordas et Gnoni.
Galerie photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.