Plus jamais ça !
Le 31 octobre 2017
Le devoir de mémoire rencontre enfin le génocide arménien dans une œuvre forte mais fragile, trop soucieuse de ne heurter personne.
- Réalisateur : Terry George
- Acteurs : Christian Bale, Oscar Isaac, Charlotte Le Bon, Marwan Kenzari
- Genre : Drame, Romance
- Nationalité : Américain, Espagnol
- Distributeur : Films sans Frontières
- Durée : 2h13mn
- Titre original : The Promise
- Date de sortie : 29 novembre 2017
- Festival : Festival de Deauville 2017
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Résumé : 1914, la Grande Guerre menace d’éclater tandis que s’effondre le puissant Empire Ottoman. À Constantinople, Michael, jeune étudiant en médecine arménien et Chris, reporter photographe américain, se disputent les faveurs de la belle Ana. Tandis que l’Empire s’en prend violemment aux minorités ethniques sur son territoire, ils doivent unir leurs forces pour tenir une seule promesse : survivre et témoigner.
Si la notion de devoir de mémoire est apparue dans les années 90 et concerne alors avant tout les crimes perpétrés pendant la Shoah, force est de reconnaître que l’Histoire témoigne d’une mémoire, certes, mais particulièrement sélective. Comment justifier notamment que nos manuels scolaires évoquent les grandes tragédies humaines de notre secteur géographique mais se montrent plus évasifs dès qu’il s’agit d’ailleurs ? Si la Grande Guerre et la Seconde Guerre mondiale sont largement mentionnées, qu’en est-il du génocide au Rwanda ou encore le génocide arménien ? C’est de lui dont il est justement question dans La Promesse, l’un des rares films qui évoquent l’élimination systématique des Arméniens dès 1915, cette communauté étant pourchassée, persécutée puis massacrée au cœur de l’actuelle Turquie. Ce qui aujourd’hui n’est reconnu que par une trentaine de pays, le terme même de "génocide arménien" étant l’objet de polémiques et de fréquents conflits entre les descendants des Arméniens survivants et le gouvernement turc actuel.
- Copyright Open Road Films
Qui dit situation politique délicate dit forcément omerta, que ce soit en politique, dans les livres d’Histoire mais aussi au cinéma. Si l’on ne compte plus les films, longs-métrages et documentaires qui s’attardent sur l’Holocauste, fait historique (le mot est faible) unanimement reconnu, ceux qui évoquent le génocide arménien ne se comptent même pas sur les doigts des deux mains. Citons notamment America, America, d’Elia Kazan (1963), Mayrig d’Henri Verneuil (1991), Ararat d’Atom Egoyan (2002) ou plus récemment The Cut de Fatih Akin (2015), avec Tahar Rahim ; productions plutôt discrètes qui n’ont pas permis de réaliser l’ampleur du génocide.
Jusqu’à La Promesse, qui est à ce jour l’un des films indépendants les plus chers de l’histoire d’Hollywood, car financé intégralement par de feu le milliardaire Kirk Kerkorian, homme d’affaires américain d’origine arménienne dont la famille a été décimée au cours du génocide. Souhaitant, dès les années 1980, produire un film centré sur ce pogrom, il a toujours désiré porter à l’écran le génocide sous la forme d’une fresque historique, avec de grandes stars au casting afin de fédérer au maximum l’opinion publique. A cela s’est ajoutée la volonté des cinéastes d’utiliser la romance pour attirer le spectateur, ce qui rend un évènement dramatique porté à l’écran tout de suite plus supportable.
L’occasion, pour le grand public, de savoir enfin ce qu’il s’est passé ? Pas tant que ça…
- Copyright Open Road Films
Est-ce parce que les films sur le génocide arménien sont si rares que le réalisateur a l’air de perpétuellement marcher sur des œufs ? Dans sa volonté de dépeindre l’ampleur du pogrom, Terry George semble surtout ne vouloir heurter la sensibilité de personne. Mais qui dit victime dit aussi coupable ; si les Allemands peuvent supporter le poids d’un héritage que le cinéma ne cesse de leur rappeler sans détour, pourquoi les Turcs ne pourraient pas subir un film qui cherche à les ménager ? Alors que La Promesse était enfin l’occasion, sur le papier tout du moins, d’apporter un minimum d’éclaircissements à un génocide encore contesté, force est de reconnaître que le film préfère omettre l’explication pour passer directement aux faits. Le public occidental, peu informé jusque-là, risque d’être surpris par les premières scènes d’harcèlements, de menaces et d’agressions, car elles arrivent soudainement sans autre forme de procès et surtout, sans désigner qui en veut ainsi aux Arméniens, ni pourquoi.
- Copyright capelight pictures / Jose Haro
La mise en scène s’attarde certes sur les nombreux parallèles qui existent entre le génocide arménien et l’Holocauste, en mettant en valeur la similitude des modes opératoires. Listes de noms, destructions des commerces, déportations en train vers des lieux inconnus, utilisation de la force de travail ou encore exécutions des plus faibles, notamment en forêt pour cacher les corps sont autant d’éléments qui rappellent une autre période. Le message du réalisateur est clair : si on avait laissé des journalistes comme le reporter interprété par Christian Bale s’exprimer et avertir le public international, peut-être que la Shoah n’aurait pas eu lieu, car le "plus jamais ça" aurait déjà fait son œuvre. Avec des "si", on peut refaire le monde, mais les deux génocides ont de telles ressemblances qu’il devient naturel de faire un douloureux parallèle entre l’un et l’autre. La force du cinéma…
- Copyright capelight pictures / Jose Haro
Reste l’émotion et un film qui laisse un goût amer, malgré d’évidentes failles dans le scénario. L’histoire d’amour est peu crédible et ne restera pas dans les annales du septième art, notamment parce que le personnage joué par Charlotte Le Bon manque de profondeur en ne s’indignant jamais et surtout, en ne s’exprimant jamais. L’occasion est ici manquée de s’attarder sur les violences que subissent les femmes en temps de guerre, car son personnage n’est ici que disputé entre deux hommes sans jamais sembler souffrir personnellement du conflit, ce qui est une aberration.
Fort heureusement, les hommes sont dans ce film bien plus intéressants, entre l’Arménien victime d’un pogrom qui le dépasse (Oscar Isaac), le reporter américain qui veut avertir son pays à tout prix (la pique envers le gouvernement américain, qui savait mais n’a rien fait, n’échappera d’ailleurs à personne) ou encore le jeune homme turc (impeccable Marwan Kenzari) entraîné malgré lui par son pays dans la haine d’un peuple envers qui il n’éprouve aucune animosité.
Retenons qu’il s’agit d’un film nécessaire, car basé sur un sujet grave et rarement évoqué. Si le cinéma peut aider à briser une omerta coupable et volontaire qui dure depuis cent ans, alors il a rempli sa mission. A l’Histoire, maintenant, d’accomplir la sienne.
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