Shakespeare et les ruffians
Le 25 novembre 2023
Un grand film, sombre et puritain. L’un des meilleurs westerns de tous les temps.


- Réalisateur : John Ford
- Acteurs : Henry Fonda, Tim Holt, Walter Slezak, Victor Mature, Linda Darnell, John Ireland, Alan Mowbray, Jane Darwell, Roy Roberts, Walter Brennan, Ward Bond, Cathy Downs, J. Farrell MacDonald
- Genre : Western, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Fox Pathé Europa
- Durée : 1h42mn
- Date télé : 3 novembre 2024 21:00
- Chaîne : Arte
- Reprise: 4 mai 2016
- Titre original : My Darling Clementine
- Date de sortie : 30 avril 1947

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Résumé : En 1882, les quatre frères Wyatt, Virgil, Morgan et James Earp amènent leur troupeau vers l’Ouest et passent la nuit près de Tombstone. Pendant que James Earp garde le campement, ses trois frères vont se distraire en ville. À leur retour, ces derniers découvrent que James a été assassiné et que le bétail a été volé. Wyatt Earp devient alors shérif pour venger la mort de son plus jeune frère. Sur son chemin, il croise Doc Holliday, le propriétaire du saloon de la ville, et s’éprend de sa fiancée, la jeune Clementine Carter.
Critique : Tout y est : les nuages de poussière au passage des diligences, les pierres monolithes de Monument Valley, Wyatt Earp et le règlement de comptes à OK Corral, les intermèdes sur les pianos de western et les fondus enchaînés... Tout le bric-à-brac du western - plus un : Shakespeare. Dans une belle scène entre le ridicule aviné des ruffians et le tragique de l’homme aux prises avec ses démons, les uns ploucs américains et l’autre archétype universel, un acteur déclame la plus célèbre tirade que le théâtre mondial nous ait donnée, "to be or not to be". Aussitôt, Doc Holiday (Victor Mature) fait taire les ruffians qui se moquent du théâtreux citadin et laisse perler les vers du poète, incongrus en cette assemblée de brutes ivrognes. C’est un peu le dilemme de ce beau grand film sombre et puritain qui se joue dans cette scène : la civilisation, fondée sur le meurtre et la boucherie, doit pourtant se poursuivre, vaille que vaille, avec ses théâtres et ses églises, ses idylles niaises et ses hommes de bien - la civilisation doit continuer d’avancer vers l’Ouest et l’horizon très incertain d’un futur collectif (enfin !) et meilleur. Elle doit le faire contre la crétinerie brutale persistante qui empêche le progrès, et répond à l’étranger à coups de revolver. Clementine vient de Boston et Wyatt Earp (Henri Fonda, l’homme moyen par excellence, faire-valoir d’un Doc luciférien et ambigu, mais tellement bel homme) reprend sa route une fois réglés les comptes à OK Corral (au sens propre) : nous n’assistons donc dans cette Poursuite infernale (en français) qu’à un passage. Wyatt Earp est là par hasard, mais pourquoi au juste ? Pour venger la mort de son frère ? Pour rétablir l’ordre ? Pour sauver un homme de sa déchéance (Doc Holliday) ? Pour régler les contentieux amoureux ? Pour trouver l’amour ?
My darling Clementine est décidément un drôle de film, qui annonce à maints égards le Heaven’s Gate meurtrier et sentimental de Cimino - les États "unis" ne le furent qu’au prix d’une désunion dans le sang. Il comporte plusieurs films, plusieurs récits, comme plusieurs routes dans ce désert à l’horizon vaste et ouvert : Wyatt Earp vient très classiquement régler un conflit mais, au lieu d’une crise, il trouve un nœud de passions contradictoires, des hommes qui devraient être méchants et sont fragiles, des catins chantantes mais pleines de noblesse... Le film fut revu et corrigé en son temps par Darryl F. Zanuck, le producteur, qui n’hésitait pas à remonter un décor et convoquer les acteurs quatre mois après le tournage pour qu’une bise délicate sur la joue de l’héroïne donne une fin plus adéquate. La version distribuée aujourd’hui revient au montage original tel que conçu par John Ford, et ravive l’éclat de l’Ouest américain dans des noirs somptueux. My Darling Clementine est un film grand et émouvant qui reste l’un des meilleurs moments du western, à revoir dans tous les cas - que le genre vous laisse de marbre ou vous emballe. La variété des scènes, l’humour, et surtout cette noblesse poignante que seul un grand moraliste comme Ford pouvait affirmer avec autant d’intensité font du long métrage un très beau moment de cinéma.
Le DVD
Le(s) supplément(s) à ne pas rater : : Le maître d’ouvrage de cette nouvelle version explique avec précision et dans un luxe de détails toujours intéressants en quoi la version originale l’est dans ce DVD. Par une comparaison systématique entre les scènes revues par Zanuck et celles de Ford, il nous fait comprendre les impératifs d’un producteur face à son public. Avec beaucoup d’honnêteté, y compris à l’égard de Zanuck.
Image & son : Les images gagnent en fraîcheur et en netteté, et la bande-son elle aussi originale ajoute une âpreté au film que Zanuck, dans la version qui fut celle présentée à sa sortie, avait atténuée au moyen de la musique. Ce que nous expliquent fort bien les bonus de cet excellent DVD, complet et riche.