Le 8 mai 2018
Sur une intrigue désarmante, King Hu bâtit un film fleuve foisonnant et très maîtrisé.
- Réalisateur : King Hu
- Acteurs : Tien Feng, Sylvia Chang, Hsu Feng, Shih Chun
- Genre : Aventures, wuxia
- Nationalité : Taïwanais
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Durée : 3h12mn
- Titre original : Shan zhong zhuan qi
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– Année de production : 1979
– Sortie DVD et Blu-ray : le 9 mai 2018
Résumé : He Yun-Tsing est missionné par le monastère Haiying pour recopier un canon bouddhiste qui permettrait de libérer les âmes des défunts. Pour mener à bien cette tâche, les moines lui suggèrent de se retirer dans un endroit isolé au cœur de la montagne. Yun-Tsing est alors accueilli à bras ouverts par les quelques habitants de la contrée. Mais le mystérieux canon bouddhiste devient rapidement la cible de toutes les convoitises…
Notre avis : Frère jumeau de Raining in the moutain, film tronqué dont la version intégrale ici présentée n’a quasiment jamais été vue (3h12, tout de même), La légende de la montagne est une œuvre monstre, hybride, et en tant que telle très difficile à appréhender. La toute fin, énigmatique, loin de donner des clés pour saisir l’intrigue absconse, en rend le sens encore plus incertain : qu’avons-nous vu ? Un rêve ? Une prémonition ? La réalité dissipée par le moine ? Et pourtant le début est limpide : on dirait un remake de Nosferatu, avec son jeune héros qui, traversant la rivière, sans comprendre qu’il entre dans le monde des démons. Il faut dire que c’est un benêt, qu’il passe son temps à écarquiller les yeux et à obéir indifféremment aux bons et aux méchants, alors que nous voyons bien les regards lourds de sous-entendus de sa « femme » et de sa « belle-mère ». La puce à l’oreille tarde à venir. Dans la première partie (grosso modo les deux premières heures), Maître He se fait manipuler et intègre une maison-piège où les apparences sont trompeuses. Il a beau vivre une belle nuit de noces métaphoriquement et visuellement très érotique, on sent bien que le danger menace et même croît.
- © 1978 FIRST ORGANISATION LTD. / FIRST DISTRIBUTORS (HK) LIMITED. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2016 TAIWAN FILM INSTITUTE. Tous droits réservés.
King Hu développe en prenant son temps ces moments d’atmosphère, presque sans action, et quand celle-ci survient, au lieu d’un combat aérien, on a un très long combat au tambourin, inouï d’inventions inattendues. Si on retrouve les zooms et le montage haché, l’originalité de l’affrontement, qui peut apparaître comme décevant et anti-spectaculaire, ne fait pas de doute. Mais le cinéaste s’intéresse surtout à une vision qu’on pourrait dire panthéiste, qui met sans cesse au même niveau l’homme et la nature, soit dans des plans généraux avec des êtres humains rendus petits, soit par d’innombrables plans de coupe d’animaux ou de paysages.
En somme, pour tout amateur de wuxia, la déception peut sembler amère. Les séquences sont étirées au-delà du raisonnable, les moments creux se suivent et, malgré la vivacité de la mise en scène, la beauté de certains plans, le film semble faire du sur-place. Inutile de dire que ces passages nous semblent fascinants, aussi bien par leur tempo intriguant que par l’ingéniosité des rapports entre les personnages.
- © 1978 FIRST ORGANISATION LTD. / FIRST DISTRIBUTORS (HK) LIMITED. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2016 TAIWAN FILM INSTITUTE. Tous droits réservés.
Et puis, comme pour combler caricaturalement les amateurs, la seconde partie devient ébouriffante, part dans tous les sens, varie les points de vue, s’attarde sur des flash-back, déroule un maelstrom d’images incongrues, parfois kitsch, et rebondit sans cesse. Toujours pas de combats véritables pour autant : King Hu semble jouer avec son spectateur, lui offrant ce qu’il attend tout en le lui refusant : au contraire des corps à corps prévisibles, il multiplie les trucages à base de fumée, de lumière et de disparitions ; on n’est pas très loin de Méliès…
Incohérente, cette partie est presque autonome et s’oppose au rythme contemplatif de la première, tout en en conservant des motifs (les animaux, les zooms). Mais elle passionne autant, d’une manière différente, comme un surgeon proliférant et complémentaire.
Néanmoins, l’unité du film repose sur la création d’un monde, celui dans lequel réel et magie se confondent au milieu d’une nature indifférente. Le manichéisme y est assumé et se construit autour de la figure neutre et essentiellement passive de maître He. Il y a bien la bonne et la mauvaise fée, la marâtre, l’ogre : le conte n’est en effet jamais loin, mais un conte revivifié et flamboyant, porté par la mise en scène débridée de King Hu, mélange somptueux d’influences multiples. On en ressort un peu lessivé, les yeux encore pleins de couleurs et de fumée, le vent dans les oreilles, mais certain d’avoir vu un grand film, puissant et original.
- spip-bandeau
- © 1978 FIRST ORGANISATION LTD. / FIRST DISTRIBUTORS (HK) LIMITED. Tous droits réservés. RESTAURATION © 2016 TAIWAN FILM INSTITUTE. Tous droits réservés.
Les suppléments :
Outre la bande-annonce 2018, le Blu-ray propose deux bonus complémentaires de 21 minutes chacun, tous deux érudits et précis. On appendra beaucoup sur le cinéaste, sa carrière difficile, La légende de la montagne, son style et ses influences, de Nosferatu à Sergio Leone ou David Lean. Indispensables introductions pour qui n’est pas familier de King Hu.
L’image :
La restauration 4K permet de contempler dans les meilleures conditions possibles cette œuvre très stylisée : absence de parasites, stabilité et définition satisfaisantes, que ce soit dans les intérieurs, les paysages ou les plans nocturnes. De la belle ouvrage.
Le son :
A quelques rares distorsions près dans la musique, la seule piste DTS-HD Master Audio 1.0 est limpide et sans scories. Les dialogues ont même une belle présence qui fait oublier l’âge du film.
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