Le 26 septembre 2016
Un wuxia fondateur, virevoltant et superbement réalisé.
L'a vu
Veut le voir
– Année de production : 1969
Résumé : Le puissant eunuque Cao Shaoqin sème la terreur parmi son peuple. La police secrète vient d’exécuter le loyal Yu Qian, précepteur du prince et ministre de la Défense, accusé à tort d’avoir aidé des étrangers. Ses trois enfants sont, eux, condamnés à l’exil hors du pays. Mais Cao Shaoqin prévoit en réalité de les exterminer en chemin : il ordonne à ses deux fidèles commandants de préparer une embuscade à l’Auberge du dragon, située près de la frontière. Cet endroit, habituellement désert en la saison, est bientôt envahi par les membres de la police secrète et par de mystérieux combattants, venus protéger les jeunes Yu…
Notre avis : Dragon inn est le deuxième film d’une « trilogie des auberges », le plus célèbre et le plus fêté en Asie ; c’est pourtant une œuvre étrange, construite en un mouvement d’abord centripète (tout le monde converge vers l’auberge) puis après un long temps en huis-clos, centrifuge (la fuite et les derniers combats). De cette histoire confuse pour un occidental, qui mêle personnages historiques et inventés, on ne retient que des enjeux narratifs obscurs, mais après tout sans importance tant le scénario est concentré sur des affrontements multiples à l’ampleur grandissante. Pas ou peu de psychologie, aucune émotion, on est dans un film sec qui n’existe que par les combats ; sitôt ceux-ci achevés, une dernière image en forme de salut, et c’est la fin ; d’une certaine manière, c’est une œuvre portée par une énergie folle : dès qu’elle est consumée, il n’y a plus rien à dire.
- Copyright CARLOTTA FILMS. Tous droits réservés
Tout l’intérêt vient évidemment des infinies variations et retards qui amènent aux batailles ; dans la première partie, on nous montre surtout de quoi les protagonistes sont capables, ce qui fait monter la tension, puis le cinéaste les dispose de façon à organiser des affrontements aux combinaisons infinies (un contre un, un contre tous, un groupe contre un groupe, etc.). De même reprend-il certains motifs, comme l’empoisonnement du vin, ou les projectiles arrêtés dans leur course, comme des échos et parallèles qui visent à glorifier les futurs combattants. En ce sens, King Hu rejoint les procédés épiques et notamment l’hyperbole héroïque : intercepter une flèche avec un broc et la renvoyer, voler pour s’abattre sur un ennemi ou trancher d’un seul coup un arbre (mort, certes, mais quand même) sont des actions traitées avec un réalisme déroutant ; c’est que le monde inventé par le cinéaste n’obéit pas aux mêmes lois que le monde réel : ainsi les hommes apparaissent ou disparaissent selon des besoins strictement cinématographiques , rien ici de vraisemblable. Du hors-champ toujours dangereux peuvent surgir des combattants sans que leur présence ait pu être trahie. De la même manière le nombre de bretteurs varie au cours d’un même affrontement sans logique explicite, puisque, à la manière d’un Hitchcock, Hu réinvente un univers qui lui est propre et peut l’organiser selon son bon vouloir. Il y a là évidemment une dimension esthétique qui prime sur le réalisme, ce qui conduit par exemple les personnages à s’interrompre pour se figer dans des poses hiératiques au mépris de toute efficacité.
- Copyright CARLOTTA FILMS. Tous droits réservés
Mais ce qui rend le film admirable, c’est bien sûr l’extraordinaire mise en scène de King Hu : la manière en particulier dont il joue avec l’espace dans le huis-clos, ne cessant d’investir l’auberge dans tous les sens, la précision des travellings qui aboutissent à d’impeccables cadrages équilibrés, le sens du rythme, rendent Dragon inn constamment surprenant, tant l’invention y est permanente. De même son montage, en modifiant sans cesse les échelles de plan, dynamise-t-il un scénario répétitif. Et pourtant les combats sont toujours lisibles, presque épurés, à la limite parfois de l’abstraction. Il en varie les modalités, insistant sur la conséquence ou au contraire sur les gestes, jouant également de formes géométriques, notamment du cercle, avec un art confondant.
- Copyright CARLOTTA FILMS. Tous droits réservés
On peut évidemment avoir le sentiment d’un exercice de style gratuit, tant les personnages sont sans épaisseur, d’autant que nombre de références passent inaperçues à nos yeux occidentaux ; mais de ce carnage infiniment répété naît aussi une vision de l’homme : le protagoniste de Hu est un concentré d’énergie, qui ne vit que pour combattre dans un monde âpre et dangereux, une figure épique qui n’a d’existence que par le récit et la bataille – on ne sait quasiment rien de son passé, de ses désirs profonds : il n’est que la projection purement cinématographique d’un mouvement perpétuel. Au passage, Hu fonde une représentation spectaculaire de la violence qui ne cessera de traverser le septième art, pour être prolongée, revisitée, plagiée. À ce titre, Dragon inn est tout autant un film captivant qu’une œuvre fondatrice.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.