Le 18 mars 2018
Une tentative intéressante de détourner les codes du genre par la réappropriation stylisée d’un scénario convenu.
- Réalisateur : Seijun Suzuki
- Acteurs : Akiji Kobayashi, Tamio Kawaji, Jô Shishido, Ichirô Kijima, Misako Watanabe
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Splendor Films
- Durée : 1h27mn
- Reprise: 28 mars 2018
- Titre original : Yaju no seishun
- Date de sortie : 13 juillet 1994
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Résumé : Le détective Tajima joue un jeu dangereux : afin de venger la mort d’un de ses amis, il accumule les délits. Conformément à ses plans, les Yakuza le recrutent rapidement et il intègre le gang qu’il veut détruire en semant la discorde de l’intérieur. Mais alors que le massacre commence, il réalise avec stupeur que la personne à la tête du clan ne répond pas aux critères mafieux habituels.
Notre avis : Un détective s’infiltre au cœur d’un gang, pactise avec un autre et se fait découvrir après un massacre. On aura reconnu la trame de Détective bureau 2-3, mais c’est aussi celle de ce film tourné par le même acteur joufflu peu de temps après. Une fois de plus, l’intrigue n’est qu’un prétexte, mais cette fois Suzuki s’est débarrassé des intermèdes comiques et musicaux : ne reste que l’âpre enquête, touffue, voire confuse. Fini de rire : même s’il se moque au passage des scénaristes et des dialogues par de cinglantes répliques de son héros, l’humour est absent de ce long-métrage plus maîtrisé, plus personnel.
On retrouve néanmoins quelques constantes : les ruptures d’un montage qui raccourcit des scènes avant leur dénouement, des plans alambiqués, l’utilisation de la profondeur de champ... Autant de signatures qui détournent les nombreux stéréotypes. Mais Suzuki va plus loin que dans son précédent opus : il ose par exemple un début en noir et blanc, avec pour seule tache de couleur une fleur rouge qui reviendra périodiquement et clôt le film ; de même l’artifice s’étale-t-il lors de séquences comme celle du coup de vent, ou dans les éclairages (par ailleurs somptueux). Recréer un monde à sa mesure, loin d’un plat réalisme, semble une ambition affichée : la plupart des séquences sont en intérieur, ou dans des décors vides, comme pour mieux signifier l’autonomie du cinéma. Mais c’est aussi un moyen de mieux contrôler : le travail sur le cadre et la lumière témoignent d’une maîtrise et d’un soin peu communs. Il sert également à jongler avec les codes et les scènes attendues, témoin cette bagarre dans une maison en ruine dans laquelle les restes de murs se dressent entre la caméra et les protagonistes, à la manière des grands baroques. Ailleurs Suzuki utilise l’éloignement, par exemple pour la fusillade entre les gangs dont il n’a cure et qui n’est qu’un ballet dérisoire.
Certes la tentation du formalisme n’est jamais loin, de même que la parodie avec ces gangsters patauds. Et si certaines séquences brillent par leur esthétisme, au moins sont-elles en cohérence avec le monde décrit : ainsi de cette main saisie avec un rasoir, qui suffit à connaître l’issue, ou de ces travellings sur les box démontrant l’organisation d’un système. Car dans cet univers dépouillé, clos sur lui-même, où la violence éclate avec sauvagerie mais se caractérise surtout par un sadisme éprouvant (si les femmes sont les victimes choisies, le héros est lui aussi torturé), Suzuki montre l’enfermement des personnages par une série impressionnante de surcadrages et d’obstacles. Monde opaque, replié, qui ne vit que de luttes pour le pouvoir et l’argent. Monde aussi du dissimulé ; ainsi l’identité de celle qui tire les ficelles n’est-elle révélée qu’in fine. Et le cinéaste joue avec nos attentes voyeuristes, montrant ou suggérant tour à tour ; à cet égard le film multiplie les signes le reliant au cinéma : les diverses mises en scène, la projection, les glaces sans tain, tout indique la mise en abyme. Le héros lui-même ne joue-t-il pas un rôle dès le début ?
La jeunesse de la bête n’est pas encore La marque du tueur, tentative radicale et extrémiste, mais il n’est déjà plus Détective bureau 2-3. La personnalité de Suzuki s’y affirme davantage, se délestant de quelques facilités pour parvenir à une œuvre plus cohérente en partant d’une banale histoire à la psychologie sommaire. Il ne parvient pas à rendre palpitant l’ensemble, le monologue explicatif dans la voiture, par exemple, sonne comme un passage obligé assez pénible. Mais son travail formel rend compte d’une vision unique, tenant par la seule mise en scène, et qui fait le prix de ce film singulier.
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