Copyright Editions Actes Sud, 2019

Notre avis : « Ainsi, en trois ans, on en fit cent quatre-vingts, pendant qu’un seul moine, lui, n’en aurait copié qu’une. Et les livres s’étaient multipliés comme les vers dans le corps. » Nous sommes au XVIe siècle, et les innovations de Gutenberg vont façonner le monde et les esprits d’une manière encore insoupçonnable. L’imprimerie permettra la diffusion de l’écrit, sous forme de livres, à commencer par le premier d’entre eux, la Bible, autorisant ainsi sa relecture, mais aussi des réinterprétations possibles lourdes de conséquences. La « grande querelle » peut commencer.
Thomas Müntzer est un théologien qui prêche la Parole divine en Saxe, avant d’en être chassé et de se réfugier en Bavière. Nous sommes aux alentours de 1520. Cet homme d’Église croit en une chrétienté authentique et pure, vérifiée par les Évangiles. Il pense qu’il existe «  une relation directe entre les hommes et Dieu  ». Une question se pose alors : pourquoi autant de prélats, et surtout pourquoi autant d’apparat ? Pourquoi l’Église s’essouffle-t-elle à exhorter les pauvres à accepter leur sort, sans faire vœu elle-même de pauvreté ? Dieu serait-il du côté des riches ?
Ses pensées dérangent, mais ses idées se diffusent grâce à ses sermons, alors que non contente d’être diffusée, la Bible sera traduite, démultipliant ainsi sa relecture, à condition de savoir lire bien sûr... Les soutiens affluent, aussi vite que les détracteurs s’organisent. Le conflit est inévitable.
«  Si Dieu avait condamné certains hommes à vivre dans la servitude et d’autres à vivre libres, il les aurait sans doute désignés  » : ces paroles sont de John Ball, vers 1370. Terreau pour l’idée d’une certaine «  égalité des âmes  ». «  Contre l’argent, la force et le pouvoir  » : ces pensées révolutionnaires déchaînent la foule des injustices. Mais les puissants sont armés, la fougue du cœur sera-t-elle plus solide que leurs armures ?
Éric Vuillard évoque ainsi, dans ce texte très court, l’idée de la Réforme et l’histoire de la chrétienté, mais aussi la diffusion de pensées révolutionnaires contre l’ordre établi. Des idées étonnamment contemporaines - «  Il parlait d’un monde sans privilèges, sans propriété, sans État » - et qui résonnent avec notre actualité : «  Le fond devint social, enragé  ».
L’auteur de L’Ordre du jour, prix Goncourt 2017, revient ici avec un roman historique au style épique et idéaliste, chantant une poésie teintée de réalisme concret. Un roman dans lequel il continue d’explorer le concept de révolution qu’il avait abordé dans 14 juillet. Un ouvrage bref et vivifiant, à lire d’une traite !