Le 23 janvier 2024
Un film très sobre et sensible sur les plans narratif et esthétique, portant sur le quotidien d’un père et sa fille, voyageant dans la majesté des paysages de Russie.
- Réalisateur : Ilya Povolotsky
- Acteurs : Maria Lukyanova, Gela Chitava
- Genre : Drame, Road movie, Teen movie
- Nationalité : Russe
- Distributeur : Bodega Films
- Durée : 1h59mn
- Titre original : Blazh
- Date de sortie : 24 janvier 2024
- Festival : Festival de Cannes 2023
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Résumé : Un père et sa fille adolescente sillonnent la Russie à bord d’un van qui contient tous leurs biens et le matériel d’un cinéma itinérant. Ils organisent des projections en plein air dans les villages reculés. Lors de leur périple, de brèves rencontres ponctuent leur solitude. Mais leur vie va basculer sur les rives de la mer de Barents…
Critique : La Grâce est un film qui porte bien son nom. Émotif, sobre, retenu, aussi bien au niveau des émotions exprimées par les personnages, qui ne s’enfoncent jamais dans l’écueil de la sensiblerie, qu’a celui de son esthétique, irréprochable, maîtrisée, d’où émerge un sentiment presque révérencieux, comme on s’inclinerait devant la grandeur d’un paysage – ces mêmes paysages qui bordent l’arrière-plan du film, dans lesquels semblent s’incruster les protagonistes, comme sur une toile peinte, et qui éblouissent. De là, provient le titre, Blazh, qui porte en lui un sens complexe, signifiant tout à la fois la grâce, mais également la lubie, une forme d’étrangeté combinée au mysticisme. Car c’est bien vers cette émotion pure, et de l’ordre du divin, du spirituel, que tendent à nous emporter les images.
- © 2024 Black Chamber / Bodega Films. Tous droits réservés.
Tout débute au creux de la nature. Une jeune fille d’une quinzaine d’années, peut-être un peu plus, est accroupie au pied d’une rivière qui coule, la tête entre les jambes, et tâte le sang qui s’échappe pour la première fois de son sexe. C’est une position primitive, en lien avec ce qu’elle traverse, organique, et qui trouve un écho dans l’environnement, l’eau ruisselant venant comme répéter le flux qui s’échappe à l’intérieur d’elle : un liquide qui sort, et se perd, en tâches rouges sur ses doigts. Ici, est esquissée en filigrane l’une des thématiques de l’intrigue : l’entrée dans l’adolescence, la transformation pubertaire. Mais comment réagir quand on vit esseulée, dans un van contenant tous les biens d’une petite famille monoparentale, portant en lui le souvenir d’une mère décédée, avec pour seul compagnon, un père, présent certes, mais figure masculine inconciliable avec le changement que traverse sa fille ? Tous deux arpentent la Russie, du sud vers le nord, avec leur cinéma itinérant, un écran géant qu’ils déplient lorsqu’ils s’arrêtent dans les villages, et sur lequel ils projettent un film, leur permettant de gagner de l’argent.
Le voyage est dès lors plus métaphorique et introspectif, que physique. C’est un passage vers l’âge adulte, que capte brillamment Ilya Povolotsky, avec ce qu’il contient d’opposition et de révolte : la jeune fille, d’abord encline à ne pas faire de vagues, s’anime - au sens de se mouvoir mais aussi de prendre vie - au moment où une femme entre dans leur vie. Une femme de passage, vouée à être quittée. Mais elle semble alors ressentir une sorte de rancune et de jalousie, en vient à se liguer, non pas contre le père en propre, mais contre ce qui les rassemble tous les deux, leur maison itinérante : le van. Une pierre est balancée, dans un accès de colère, sur le pare-brise, et la jeune fille fugue avec son amoureux. C’est une révolte par les gestes, jamais par la parole, dans ce film empruntant aux codes du muet.
- © 2024 Black Chamber / Bodega Films. Tous droits réservés.
Très peu de paroles sont échangées entre les deux protagonistes, sûrement parce qu’à force de se côtoyer, l’intimité, si forte, a laissé place aux silences, aux gestes familiers, habituels, que la fille s’efforce de capturer à l’aide de son appareil photo. Sur le chemin qui les mène à leur destination, ils font des rencontres, et l’adolescente pose son œil dans l’objectif. Là aussi, une forme de rivalité avec la figure paternelle se met en place. Elle critique, inconsciemment et par le biais de l’art, leur mode de vie : les paysages ne cessent de défiler derrière la vitre ; l’image, elle aussi, est mouvante. Les plans fixes, qui saisissent le van, seul petit détail dans une vaste flore, zooment et se rapprochent de leur objet. Il y a un double mouvement : celui de la caméra, qui semble s’enfoncer en avant dans l’environnement, comme si elle métamorphosait le geste de l’introspection ; et le van qui poursuit sa route sur les chemins enlacés dans les rochers des montagnes, traçant une courbe et guidant l’œil du spectateur d’un bout à l’autre du plan, permettant alors de naviguer et d’observer le paysage. Il y a une appartenance à la nature, une impulsion qui vient faire se fondre l’humain dans la stabilité, ce qui ne bouge pas, ou bien très lentement. C’est justement ce que tente de photographier la jeune fille : elle se meut sans cesse, voit apparaître et disparaître des noms de villages, des hommes, des femmes et des enfants ; les rencontres ne peuvent être que de l’ordre de l’éphémère. Alors, en guise de révolte, elle les capture, fait des portraits, fige l’instant, pour avoir un semblant de maîtrise sur ce qui l’entoure, s’approprier ce qui ne dure pas.
La Grâce est donc un film à la charge poétique envoutante, au rythme lent et contemplatif, qui emporte celui qui le regarde vers des rives lointaines, et pourtant si proches, vers le lyrisme du quotidien, la banalité des jours qui se succèdent, défilent et ne se ressemblent pas. Quand l’ordinaire devient extra-ordinaire.
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