Le 16 février 2019
Pour son troisième film, Cacoyannis se tourne vers la tragédie moderne et réalise un portrait féminin de toute beauté.
- Réalisateur : Michael Cacoyannis
- Acteurs : Ellie Lambeti, Eleni Zafeiriou, Dimitris Horn
- Genre : Drame, Romance, Noir et blanc
- Nationalité : Grec
- Distributeur : Tamasa Distribution
- Durée : 1h45mn
- Reprise: 27 février 2019
- Titre original : To koritsi me ta mavra
- Date de sortie : 12 décembre 1956
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Deux riches Athéniens, Pavlos et Antonis, le premier écrivain, le second architecte, partent en vacances sur l’Île Hydra. Ils louent deux chambres chez une veuve du nom de Froso. Du fait qu’elle s’est pris un amant, cette dernière est blâmée par les uns et jalousée par les autres. Pavlos entame une relation avec Marina, la fille de Froso. Très vite, il se trouve confronté à d’anciens soupirants dont Marina avait repoussé les avances...
Notre avis : Deux amis se rendent sur une île pour quelques jours de vacances ; les premières images décrivent le trajet en bateau et l’arrivée devant un décor pittoresque, mais, comme une annonce, l’un dit à l’autre : « Ici rien ne semble être caché, pas même les péchés des hommes ». De fait, leur arrivée dans le village baigné de lumière, aux ruelles pentues et aux maisons blanches va réaliser ce programme et devenir un drame de l’absence d’intimité, ou si l’on veut, une tragédie du regard. Tragédie puisqu’un Dieu malin fait jouer les deux amis à pile ou face pour savoir où ils dormiront, à l’hôtel, comme prévu, ou chez un habitant qui se propose de les héberger. Il ne faudra que quelques minutes au spectateur pour comprendre qu’en entrant dans la vieille maison décatie ils pénètrent aussi dans un lieu maudit qui ne peut conduire qu’à une issue néfaste.
- Copyright Tamasa Distribution
Les propriétaires de la maison, Marina, son frère et sa mère, sont l’objet de moqueries de la part d’un groupe mené par Christos : difficile de comprendre la raison de ce comportement, même si très tôt on reproche à la mère, veuve encore jeune, des aventures qui ne parviennent pas à rester discrètes ; c’est qu’ici tout se sait, tout se voit. D’où ces plans récurrents de dialogues ou de disputes au milieu d’un chœur antique, composé de villageois et en particulier d’enfants moqueurs. Si Cacoyannis définit rapidement le caractère de Pavlos, écrivain raté qui se complaît dans une plainte perpétuelle et des excès (boisson, tabac, liaisons), c’est vers Marina qua sa caméra se tourne le plus doucement, d’autant qu’elle est incarnée par la radieuse Ellie Lambeti qu’il avait déjà dirigée dans son premier film, Le réveil du dimanche ; il sait capter son jeu nuancé, lui offrant des monologues superbes : qu’elle raconte la mort de sa sœur, « morte parce qu’elle était laide », ou, à la fin, qu’elle affirme son courage retrouvé, c’est la même fascination pour une actrice hors du commun et pour un personnage magnifiquement dessiné. Marina souffre d’abord en silence, de la honte concernant sa mère, de la violence autodestructrice de son frère, d’une existence qui se résume à des quolibets sans fin. Mais l’amour de Pavlos la révèle à elle-même et peu à peu elle ose. D’abord, elle cède et l’embrasse, puis elle va jusqu’à une entrevue sous un porche (séquence d’une simplicité sublime, avec la petite fille qui arrive dans la profondeur de champ pour regarder les amants hors-champ), et enfin, elle lui donne un rendez-vous auquel il devra venir par la mer.
C’est là que se noue le drame, dans cette mer qui a emporté la sœur et qui a failli perdre Pavlos, victime d’un jeu cruel organisé par Christos et sa clique. Par désœuvrement et par perversité, ce groupe à la chanson facile ne cesse d’imaginer des plaisanteries mauvaises : qu’il s’agisse de poursuivre Marina, d’entourer Pavlos en train de nager ou d’ôter le bouchon de sa barque, leur unité s’exerce au détriment des autres, de ceux qui se rebellent ou se refusent. La savante progression de leurs « blagues » les conduit à la tragédie : ignorant que le bouchon est enlevé, Pavlos emmène des enfants dans sa barque et ce n’est qu’au large que celle-ci coule. Il faudrait un cœur singulièrement sec pour ne pas être éprouvé par cette séquence poignante, dans laquelle Pavlos essaie désespérément de sauver des enfants au fur et à mesure que l’eau monte. Pareillement la très sobre scène de la procession qui mène au cimetière est déchirante.
- Copyright Tamasa Distribution
Le film repose sur deux parcours que l’adversité transforme : Marina brise sa soumission et vainc sa peur, tandis que Pavlos devient adulte, lui qui n’osait même pas avouer à sa mère qu’il avait rencontré une femme. Autour d’eux, des figures neutres ou maléfiques se meuvent à l’affût d’un faux pas, scrutateurs à la morale caricaturale. Mais Cacoyannis fait un sort particulier à l’ami de Pavlos, qui apparaît comme un oracle (« si tu restes, ça va mal finir », lui prédit-il) et un représentant de la raison : Antonis est celui qui dit la vérité, qui sonde les âmes et qui prône l’apaisement. Mais il incarne aussi l’envers de Pavlos, pour le meilleur (il a du succès, s’épargne les ennuis) et pour le pire (il ne connaît pas la passion et ne profite de rien).
- La Fille en noir - Copyright Tamasa Distribution
D’un scénario aussi fort, le cinéaste fait une œuvre majeure, sans doute parce qu’il a choisi la sobriété, qui n’est pas la froideur, bien au contraire : son travelling sur les mères attendant les bateaux, ce splendide portrait de Marina jetant de la terre sur le cercueil et s’interrompant en entendant la sirène du navire, ces cadrages géométriques des rues et des façades, toute cette simplicité rigoureuse fait de La fille en noir un film précieux qui, certes, s’attaque aux traditions néfastes et oppressantes, mais qui est surtout une ode bouleversante au courage et à l’amour.
- Copyright Tamasa Distribution
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.