La belle espérance - Chantal Van Den Heuvel, Anne Teuf - la chronique BD

Critique : Lancer un roman ou une BD avec comme toile de fond la victoire du Front Populaire n’est pas une entreprise commune, et c’est bien parce qu’elle est difficile : en effet, l’entre-deux-guerres a certes été un décor exploité par la fiction, mais c’est surtout en prolongement de la Première Guerre mondiale ou en prologue de la Seconde qu’il a longtemps servi. Aussi négliger les deux moments clefs pour s’intéresser aux années décisives du Front populaire est un évènement en soi. Mais si vous parvenez à insuffler ce récit d’hommes et de femmes, de classe politique tout à la fois, ces destins où l’individuel permet d’exprimer un collectif comme Zola l’avait si bien exprimé, alors vous tendez à la perfection. On n’est ici peu éloigné d’un Germinal dans cette Belle Espérance, qui combine les histoires de différents protagonistes : jeunes Bretons avides de liberté, juifs aisés sentant l’étau se resserrer, Léon Blum martyr de la politique... La France connaît à cette époque des avancées sociales significatives avant la régression de Vichy. Il faut citer Zola car outre ces particularismes du syndicalisme et des affaires de la politique, on trouve ici le travail à la chaîne à l’usine Renault, les nuits mal éclairées à coudre pour les grandes maisons, l’ignominie d’être une femme seule, réduite à coucher pour survivre, autant de thèmes que le chef de file du naturalisme auraient pu ou a déjà couché sur le papier.

© Delcourt / Teuf

Le dessin d’Anne Teuf, après avoir tissé l’Alsace de sa grand-mère, s’intéresse ici de nouveau à Paris en passant par la Bretagne, donnant à voir comme dans Finnele des personnages que l’on pourrait trouver dans chaque village, dans chaque rue, dans chaque couloir, car hormis un maquereau un peu exagéré, l’aubergiste malhonnête, le notaire tendancieux ou encore le contremaître exécrable sont tous des portraits où l’on ne peut que se dire "en voilà un de vrai", sans oublier les femmes fortes comme les héroïnes ou faibles comme les mères et les bourgeoises, les courageuses et les rêveuses d’une autre société, qui dans ce premier tome se met enfin à bouger.

© Delcourt / Teuf

En faisant revivre une période charnière et les moments d’espoir de ses contemporains dans un récit choral passionnant, La Belle Espérance séduit son lecteur curieux d’en savoir davantage sur cette époque.