Le 8 novembre 2021
- Dessinateurs : Sacco, Joe, Robert Crumb, Emmanuel Lepage , Guy Delisle, Philippe Squarzoni
- Famille : Roman graphique
- Editeur : Delcourt, FUTUROPOLIS, Rackham
Dans le paysage médiatique, le reportage graphique a su conquérir sa place. Il bouscule les codes et propose un moyen original de s’informer.
Résumé : Ultime configuration du mariage entre presse et bande dessinée, la BD-reportage n’a cessé d’évoluer et séduit un public assez large. Ces multiples ressources permettent de renouveler le rapport à l’actualité.
Depuis sa naissance, la bande dessinée n’a quasiment jamais cessé de tisser des liens avec la presse. Dans les années 1960, elle s’adresse de nouveau à un lectorat adulte, et parmi les voies qu’elle emprunte pour se réinventer figurent celle du reportage. Ce renouveau s’opère des deux côtés de l’Atlantique.
Aux Etats-Unis, Robert Crumb (1943-) livre une vision assez personnelle de la réalité dans ses « sketchbook reports » sur le quartier de Harlem et sur la Bulgarie dans le magazine Help. Quelques années plus tard, Shel Silverstein (1930-1999) dessine le premier des reportages dessinés séquencés dans ce qui s’approche d’un journal de bord, en mêlant dessins et clichés. Il va jusqu’à se représenter au sein de ses planches.
Et chez nous ? En France, le reportage dessiné évolue principalement grâce à Cabu ou Jean Teulé. Ce dernier propose deux récits graphiques. Dans Gens de France (1988) et Gens d’ailleurs (1990), il mêle habilement textes et photographies, n’hésitant pas à retoucher ses clichés en passant par le dessin. La subjectivité des auteurs transparaît, et laisse entrevoir ce qui sera une tendance lourde du reportage graphique.
Déjà à part dans le paysage de la bande dessinée, la BD-reportage prend un tournant dans les années 1990 avec Palestine. En se mettant constamment en scène, Joe Sacco, journaliste de formation, rappelle au lecteur qu’une information est toujours relayée par une présence humaine. Pour lui, le journalisme neutre est un leurre. Tout en s’attachant aux faits, Sacco s’éloigne du traitement journalistique en vigueur. Il relaye la parole de ceux que le public n’entend jamais (les Palestiniens) et témoigne de la complexité de la situation palestinienne, complexité que les médias de masse tentent de dissoudre. Mais surtout, Sacco se représente tout au long de son reportage. Il partage ses émotions, montre ses failles et opte pour un autoportrait proche de la caricature. Ses lèvres épaisses, sa bouche démesurément large et ses étranges lunettes fumées participent à faire de lui une personne humble. Joe Sacco a banalisé la mise en scène de l’auteur en BD-reportage, à tel point que c’est devenu la principale marque de fabrique du genre. Ses successeurs s’inspirent de lui tout en s’émancipant de ce modèle et en affirmant leurs singularités.
- Joe Sacco, terrifié lorsque la tension monte en Israël. Extrait de l’album Palestine, 2017, p.121
- Joe Sacco – Éd.Rackham
Le reportage dessiné est aujourd’hui bien installé dans les paysages médiatique et de la bande dessinée. Il faut dire que ce canal d’information va à contre-courant du journalisme traditionnel. Dans une société où le temps de l’information est avant tout celui de l’immédiateté, la bande dessinée de reportage impose une certaine lenteur. L’auteur et/ou le dessinateur mettent plusieurs mois pour façonner un reportage graphique, et la densité de ce médium oblige le lecteur à se poser, à prendre le temps. Les choix forts des auteurs (autoreprésentation, découverte de territoires, facettes d’un sujet délaissé par les journalistes…) apportent une densité particulière à leurs reportages. Ils se mettent plus ou moins à nu – dans Un printemps à Tchernobyl, Emmanuel Lepage fait entrer le lecteur dans son cercle familial – et le public s’attache à eux, sans compter que ces auteurs dévoilent les difficultés qui jalonnent leurs voyages, alors que les journalistes ont coutume de les passer sous silence. Enfin, il ne faut pas négliger qu’un auteur de bandes dessinées jouit d’un statut particulier qui lui ouvre de nombreuses portes. Tandis qu’un journaliste ou un photographe ont tendance à susciter la méfiance, l’art attire et le dessinateur sait aussi bien se faire oublier que susciter la bienveillance, voire la fascination, de ceux qu’il côtoie.
Sélection de BD-reportages marquantes :
- Guy DELISLE, Chroniques de Jérusalem, Paris, Delcourt, 2011, coll. « Shampooing ».
- Emmanuel LEPAGE, Un printemps à Tchernobyl, Paris, Futuropolis, 2012.
- Joe SACCO, Palestine, Paris, Rackham, 2010 [Vertige Graphic, 1996].
- Joe SACCO, Payer la terre, Paris, Futuropolis, 2020.
- Philippe SQUARZONI, Saison brune, Paris, Delcourt, 2012, coll. « Encrages ».
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