L’île aux pirates - la critique du film

Notre avis : S’il y a un film que la sale réputation précède, c’est bien L’île aux pirates. Cette superproduction sortie durant l’hiver 1995, budgétée à plus de 100M$, est encore considérée à ce jour comme le pire échec commercial de l’histoire du cinéma. Ses recettes calamiteuses d’à peine 11M$ entraînent la banqueroute de la société Carolco Pictures, co-fondée par l’influent producteur Mario Kassar (Rambo, Terminator 2, Cliffhanger, Total Recall, Stargate, Basic Instinct). Les raisons d’un tel naufrage ? En toute franchise : une accumulation frappante de mauvais choix artistiques. Quand Renny Harlin, alors maître artificier du cinéma d’action (il venait de signer coup sur coup Cliffhanger et 58 minutes pour vivre portés respectivement par Sylvester Stallone et Bruce Willis), conclut le deal histoire de remettre au goût du jour un genre passé de mode depuis plusieurs décennies, la tâche ne s’annonçait déjà pas des plus aisées.

Côté casting, les erreurs vont là aussi s’accumuler. Harlin tente de hisser au rang de star de blockbuster son épouse de l’époque, l’actrice Geena Davis (son nom devenait vendeur depuis le succès de Thelma et Louise) dont le rôle de flibustier intrépide et espiègle ne restera pas dans les annales... Peu importe donc qui lui donnera la réplique dans le rôle fort masculin. Même si les noms prestigieux de Tom Cruise, Keanu Reeves ou encore Jeff Bridges circulent, c’est finalement le beaucoup moins bankable Matthew Modine (Birdy, Full Metal Jacket) qui sera embauché à la toute dernière minute. La présence de Frank Langella en méchant pirate cabotin (on est dans les années 90, ce qui signifie que balancer une vanne avant de tuer quelqu’un est considéré comme une manœuvre imposée) relèvera fort heureusement un peu le niveau. Si l’on additionne encore les problèmes de scénario (difficilement bouclé), la mauvaise ambiance régnant sur le plateau de tournage entre Malte et la Thaïlande, où Harlin ira jusqu’à exiger de son équipe que des navires pirates soit totalement remaniés après leur création, avec pour conséquence l’allonge du budget de plusieurs millions de dollars, le produit fini se présente mal.

In fine, cette gestation houleuse fait elle de L’île aux pirates un mauvais film pour autant ? Pas du tout. Car même si le script ne casse pas trois jambes de bois à un corsaire, cette épopée maritime réussit à voguer efficacement entre la comédie d’aventure à grand spectacle et le film de cape et d’épée. Iles paradisiaques, méchants pirates, coups de canon à foison et trésors cachés sont au rendez-vous et maintiennent le cap. La dernière bobine sur fond de duel de navires d’une envergure colossale permet à Renny Harlin de retrousser les manches et de livrer la scène d’abordage la plus impressionnante vue à ce jour sur un écran de cinéma. Cette grande attraction du film, dynamique et bien coordonnée, assurée par de nombreux cascadeurs, procure encore aujourd’hui un potentiel de divertissement tout bonnement retentissant. Alors même si Matthew Modine se demande un peu ce qu’il fout là (et nous aussi), que l’ensemble s’avère cousu de fil blanc, L’île aux pirates vaut toutefois son pesant de pop corn. Voilà tout le paradoxe d’un film qui échoua lamentablement au beau milieu des années 90 là où Pirates des Caraïbes triomphera fièrement à l’aube des années 2000.