L’Homme en noir - Giovanni Di Gregorio, Grégory Panaccione - La chronique BD

Critique : Pour identifier les victimes d’abus sexuels, il y a fort peu de méthodes. Les personnels sociaux, d’éducation et de santé sont en première ligne pour repérer les dysfonctionnements des enfants, et les protéger de ces liens toxiques qui arrivent souvent à l’intérieur des cercles proches ou familiaux. Giovanni Di Gregorio a décidé de prendre sa part, en livrant un album qui peut montrer aux enfants ou adolescents qu’il est normal de ressentir un mal-être, de la culpabilité, et qu’il est possible de le dire plutôt que de vivre avec. Le scénariste donne ainsi à lire un récit tumultueux mais qui sonne vrai, dans un chaos de cauchemar qui prend peu à peu le pas sur la réalité, montrant un enfant fragile, ou plutôt fragilisé, par ce qu’il a subi de l’adulte. Il faut ici se placer du côté du lecteur enfant plutôt naïf, qui ne saura pas de quoi parle exactement ce livre, pour l’imaginer se projet, comprendre, découvrir avec dégoût ou partager la honte pour celui ou celle qui aura vécu cette situation. Pour que le lecteur puisse se dire "c’est arrivé à d’autres que moi" et ainsi pouvoir partager, puis envisager un avenir plus positif, sans ce poids insoutenable qu’il aurait autrement du porter jusqu’à l’âge adulte.

Disons-le immédiatement : dans un album qui se veut jeunesse, le dessinateur Grégory Panaccione n’a absolument rien montré de sexuel, voire d’ambigu. L’attouchement est caché par une cabane de plage métaphorique, même lorsque c’est le cauchemar de l’homme en noir qui intervient, il n’y a pas de forme évocatrice ou même de mot trop cru. Le livre est vraiment fait pour tous les publics, et en cela n’ira pas aussi loin qu’un professionnel de la santé pour mettre des mots sur un fait relevant d’un crime. Le dessin est supportable, comme une de ces histoires où le rêve permute avec la réalité, où le personnage principal commence à les confondre, où ici une ombre noire semble passer sur toutes les planches, où de beaux décors plutôt accueillants, barre d’immeuble, plage, école sont assez colorés et communs pour ressembler à ceux de beaucoup d’enfants, afin de délivrer une histoire universelle plutôt qu’un rêve singulier.

© Delcourt / Panaccione

Avec le drame de Mattéo, le duo permet à l’inceste et l’abus familial d’avoir un écho dans le monde culturel, sans aller jusqu’à l’écoeurement adulte d’Angot, il ouvre un horizon qui était jusque là invisible, et pourrait peut-être sauver des santés mentales d’enfants lecteurs.