Monstre et compagnie
Le 4 mars 2019
Un film de monstre parfaitement maîtrisé, jusqu’à l’apparition du fameux monstre dans les dernières minutes. Quand la source de terreur devient brutalement source de rires, tout s’effondre inévitablement.
- Réalisateur : Alejandro Fadel
- Acteurs : Esteban Bigliardi, Victor Lopez, Tania Casciani
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Fantastique
- Nationalité : Argentin
- Distributeur : UFO Distribution
- Durée : 1h49mn
- Titre original : Muere, Monstruo, Muere
- Date de sortie : 15 mai 2019
- Festival : Festival de Cannes 2018, L’Étrange festival 2018
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Résumé : Dans une région reculée de la Cordillère des Andes, le corps d’une femme est retrouvé décapité. L’officier de police rurale Cruz mène l’enquête. David, le mari de Francisca, amante de Cruz, est vite le principal suspect. Envoyé en hôpital psychiatrique, il y incrimine sans cesse les apparitions brutales et inexplicables d’un Monstre. Dès lors, Cruz s’entête sur une mystérieuse théorie impliquant des notions géométriques, les déplacements d’une bande de motards, et une voix intérieure, obsédante, qui répète comme un mantra : “Meurs, Monstre, Meurs”…
- (C) Alejandro Fadel
Notre avis : Il est des monstres qui ont une capacité de nuisance bien supérieure aux autres. La créature qui hante la Cordillère des Andes en laissant derrière elle des cadavres décapités semble être un de ceux-là. Et lorsque la brigade de police locale en charge de l’enquête s’avère faire preuve d’une rationalité contre-productive il est évident que, pour pleinement profiter de son potentiel fantastique, le film, à défaut de dévier vers une piste métaphysique, va devoir jouer sur son ambiance cauchemardesque. Et justement, Alejandro Fadel, qui avait déjà fait ses preuves en tant que scénariste auprès de Pablo Trapero (Leonera, Elephante Blanco...) et qui signe ici un second film en tant réalisateur, cinq ans après Los Salvajes, fait preuve d’un travail remarquable sur l’atmosphère qui entoure cette série de meurtres.
- (C) Alejandro Fadel
Dès sa présentation à Cannes, le film a été comparé à deux excellents films coréens : Memories of Murder, auquel il emprunte l’aisance pour transformer l’incompétence des policiers en ressort comique, et The Strangers, avec lequel il partage son mélange de genres et surtout sa capacité à faire peser sur une petite communauté rurale un mystère qui va raviver les pires tensions. Ça, c’est pour le point de départ ; pour la résolution, au contraire, le scénario de Fadel diverge radicalement de celui de Na Hong-jin qui nous laissait malignement dans l’incertitude. Pendant le développement, un autre film récent revient à l’esprit, c’est La Région Sauvage, d’Amat Escalante. Leur principal point commun est évidemment leurs paysages montagneux arides, mais aussi la référence lovecraftienne à laquelle renvoie le design tentaculaire de leur créature respective... du moins, tant que celle-ci reste hors-champ. Les jeux d’ombres redoutables et leurs influences méphistophéliques sur les personnages renvoient également à l’œuvre de Stephen King, une autre influence littéraire tout aussi glorieuse.
- (C) Alejandro Fadel
Autant de références qui prouvent que, pour sa première incursion dans le domaine du fantastique, Alejandro Fadel en maîtrise parfaitement les rouages, et qu’il en joue assez astucieusement grâce à cette enquête policière qui va devenir, pour nous, l’occasion de découvrir des personnages modernes et pathétiques – au meilleur sens du terme – confrontés à une mythologie ancestrale qui les dépasse. Tout le trouble qui naît de ce décalage culturel permet de transformer ce microcosme morbide en un théâtre pour des échanges particulièrement tendus. Or, parmi ces empoignades aux tonalités variées, de l’ordre de la farce quand les flics sont entre eux ou bien plus violente dès qu’ils s’adressent à un de leurs suspects, les plus frappantes s’avèrent être celles qui se font en couple. Le symbole phallique auquel renvoie le design tentaculaire du monstre laisse alors penser que celui-ci représente la misogynie qui règne sur cette région reculée de l’Amérique du Sud.
Ce mystère qui pèse sur cette intrigue tortueuse nous laisse face à nos propres interprétations personnelles. Après tout, en jouant à faire de chaque personnage, l’un après l’autre (ils sont tous joués par « gueules », ça aide forcément), un coupable potentiel, le scénario nous rappelle surtout que chacun de nous a un monstre qui repose en lui. On attend alors que, comme pour La Région Sauvage, la résolution nous explique que le monstre exacerbe les pulsions sexuelles de chacun... mais ce n’est tout à fait comme ça que ça va se passer.
- (C) Alejandro Fadel
En effet, même si il souffre – « inévitablement » diront certains– de quelques longueurs et de certaines surenchères gore qui manquent cruellement de finesse, là où le film finit par lamentablement s’effondrer, c’est quand, à cinq minutes de la fin, il nous montre cette créature frontalement qui restait jusque-là comme une abstraction véritablement terrifiante.
Au Certain Regard de Cannes comme à l’Etrange Festival, quatre mois plus tard, les réactions ont alors été exactement les mêmes : au mieux des soupirs gênés, au pire des éclats de rires, mais dans les deux cas tous les efforts horrifiques précédemment déployés furent balayés d’un coup. La capacité de nuisance de ce monstre aura donc finalement atteint une ampleur métafilmique, tant les plus gros dégâts qu’il cause sont sur l’accueil du long-métrage. Certains l’ont même comparé à « Twin Peaks qui se serait terminé sur un plan de La Soupe aux Choux ». C’est dur, d’autant que l’on suppose aisément que le plan final a une charge symbolique qui aurait mérité d’être prise au sérieux (un vagin avec des dents... oui, mais pour dire quoi ?). Dommage pour Alejandro Fadel, à qui on souhaite de s’entourer d’une meilleure équipe technique la prochaine fois.
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