Le 20 janvier 2024
Francis Girod livre une charge virulente qui n’a rien perdu de sa force et demeure un essai plutôt rare de dénonciation du post-colonialisme.
- Réalisateur : Francis Girod
- Acteurs : Michel Piccoli, Claude Brasseur, Jacques Dutronc, Marie-Christine Barrault, Rüdiger Vogler, Philippe Brizard, Jacques Sereys, Sidiki Bakaba, Alphonse Beni, Doura Mané, Joseph Momo, Umbañ U Kset
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Distributeur : Gaumont Distribution
- Durée : 1h55mn
- Date télé : 11 mai 2024 22:53
- Chaîne : LCP Public Sénat
- Box-office : 1 032 264 entrées France / 362 242 Paris Périphérie
- Date de sortie : 19 avril 1978
L'a vu
Veut le voir
Résumé : 1960. Délaissée par son mari, Laurence Avit suit un vendeur de voitures arriviste et amoral, Gravenaire, en Afrique. Ils s’installent dans un pays récemment converti à la démocratie, où ils tissent des liens avec les hommes de pouvoir, corrompus pour la plupart. Seule exception : Patrice Doumbé, homme intègre, que Laurence ne tarde pas à prendre pour amant. Mais Doumbé représente une menace pour le régime en place.
Critique : Envoyé par l’UNICEF dans un pays africain jamais nommé, Avit Laurençon débarque en énarque propre sur lui, pour une mission dont on ne saura pas grand-chose. Le lendemain, à la fin du film, il repart dépenaillé, accompagné de son ex-femme Laurence, conspué par la population et blessé. L’état sauvage est le récit de cette rapide descente en enfer, une suite d’événements absurdes, grotesques et violents qui font l’analyse d’un racisme généralisé et d’un post-colonialisme confus. Il faut dire que, pour son troisième film, adaptation du prix Goncourt 1964, Girod, aidé par l’auteur du roman Georges Conchon, ne s’est pas attaqué à la facilité et n’y est pas allé avec le dos de la cuiller : c’est un vrai jeu de massacre, qui n’épargne pas grand monde ; la plupart des personnages offrent un panel réjouissant et varié des médiocrités humaines, autour de quelques protagonistes féroces dominés par l’abject Gravenoire, auquel Claude Brasseur donne sa faconde. En homme blessé par le départ de sa compagne, Laurence, qui a quitté Avit pour lui, et lui pour un ministre noir, Patrice Doumbé, il incarne le Blanc manipulateur (c’est lui qui « conseille » un ministre), jaloux, méprisant, évidemment raciste, et terminera dans l’odieux en poursuivant de sa caméra voyeuriste le couple en fuite. Autour de lui, c’est un festival : des hommes violents, grossiers et avinés. Même les seconds rôles, de la femme du pasteur niaise à tous ces gens entrevus hurlant et insultant, n’ont rien de sympathique.
Pour autant, bien qu’il ait voulu faire une « fiction de gauche », Girod ne tombe pas dans un manichéisme facile qui ferait des Noirs les héros positifs : les ministres corrompus et incompétents terminent un conseil en dansant, le président cacochyme ne se préoccupe que de sa santé, le policier tire dans le dos, bref le monde qu’il donne à voir est un concentré de bêtise et de noirceur. En dénonçant à tout va, le cinéaste trouve un ton sarcastique original qui flirte avec le mépris généralisé : car, s’il y a bien des « héros », ils sont pour le moins ambigus ; Laurence est constamment sur le mode ironique, le « pur » Avit déclenche malgré lui les événements destructeurs et le représentant de l’autorité dont on évoque le passé trouble ne se décide pas à sauver Doumbé alors qu’il vise la voiture qui l’entraîne vers la mort. Seul peut-être ce dernier sort grandi de cette charge, mais les habitants l’accusent de trahison, ce qu’il reconnaît lui-même dans un beau face à face avec sa femme.
Original dans son ton et son sujet, L’état sauvage ne convainc pas tout à fait en raison principalement d’une rivalité amoureuse pataude, alourdie encore par des flash-back inutiles. Sans doute la diaphane Marie-Christine Barrault manque-t-elle également de carrure et de perversité pour incarner une femme fatale. Et pourtant le film reste dans les mémoires pour deux séquences impressionnantes, deux fuites face à la masse compacte : la première, nocturne et en voiture, est dense et puissante. La seconde, à pied et sous un soleil de plomb, atteint le magistral : la tension exacerbée ne retombe pas, la haine s’exprime avec force dans ce qui ressemble à un chemin de croix au milieu des insultes les plus grasses. Mais au fond, si ces séquences déstabilisent, c’est qu’elles reposent sur la terreur que peut inspirer la foule hostile. Ce sont, avec la danse des ministres, les deux grands moments d’un film qui vire parfois à la complaisance (le groupe de Blancs racistes autour de Brasseur) mais garde son cap jusqu’au bout, jusqu’à cette déclaration officielle, en France, qui reprend les éléments de langage fournis par le pouvoir.
- © 1978 Gaumont. Tous droits réservés.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.