L’Almanach -Jean-Claude Servais – la chronique BD

Le fantastique est ce registre qui joue sur une tension continuelle entre le réel et le surnaturel, le doute ne cessant de s’instiller jusqu’à un moment fatidique où le lecteur doit faire un choix : croit-il à ce que l’auteur lui montre ? Pour Servais, l’intérêt du fantastique ne réside vraisemblablement pas dans ce nœud crucial, cette révélation du malin, de la sorcière et du pouvoir occulte, mais bien dans la tension qui le précède. Une tension accrue par un certain érotisme, latent ou non, habituel dans les œuvres de l’auteur. Ainsi, cette réédition reprend des traditions folkloriques des recoins de la France, prétextant des fêtes anciennes, des commérages ruraux et des replis sombres du Christianisme. Difficile d’ailleurs de dire si ces légendes ne vantent pas le paganisme et les adeptes des sombres arcanes décrits.

Servais / Dupuis

Style imitable mais jamais égalé, la patte de Servais se joue des défauts humains pour mieux les laisser éclater à la lumière de Lucifer, ou parfois seulement de ses quelques représentantes. De la veuve gourmande au vieux fou, des propriétaires trop avides aux jeunes trop curieux, les visages vont et viennent, sans jamais se répéter malgré le noir et blanc, alors que le décor ne change pas, campagne tantôt riante, tantôt froide comme la mort, et les chaumières n’ont pas de douceur, mais plutôt de lourds secrets dans les vieilles pierres. Si la forêt possède forcément un attrait, on s’attachera davantage à voir les planches craquer, les cheminées fumer et les chaises se tordre, tant les intérieurs sont aussi source de délice pour le lecteur ensorcelé.

Servais / Dupuis

En douze récits, Servais se plaît à tisser une toile pour son lecteur, creusant le doute et instillant la peur et même temps qu’une curiosité à la limite de la lubricité, dans un écrin évidemment fantastique, et ce, dans tous les sens du terme.