Le 21 octobre 2023
Killers of the Flower Moon représente pour Scorsese une forme de quintessence de son art mais aussi une bascule définitive dans son cinéma. Une œuvre glaçante et virtuose.
- Réalisateur : Martin Scorsese
- Acteurs : Robert De Niro, Leonardo DiCaprio, Brendan Fraser, John Lithgow, Pat Healy, Lily Gladstone, Jesse Plemons, Michael Abbott Jr., Tantoo Cardinal
- Genre : Thriller, Drame historique
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Paramount Pictures France
- Durée : 3h26mn
- Date télé : 3 juin 2024 23:40
- Chaîne : Canal+
- Date de sortie : 18 octobre 2023
- Festival : Festival de Cannes 2023
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– Festival de Cannes 2023 : sélection officielle, hors compétition
Résumé : En Oklahoma, dans les années 1920, des meurtres en série frappent les membres de la communauté Osage, qui s’était enrichie grâce au pétrole présent sous ses terres. Cette série de meurtres brutaux est aujourd’hui connue sous le nom de Règne de la Terreur.
Critique : Avec Killers of the Flower Moon, Scorsese parachève une trilogie qu’il avait entamé avec Silence en 2016. Celui-ci narrait le destin cruel et complexe de deux prêtres jésuites en butte à la persécution des chrétiens de l’archipel nippon. ll s’agissait pour le spectateur d’un long chemin de croix, au rythme lancinant qui pouvait en décontenancer plus d’un. Son film suivant, The Irishman, s’apparentait à un long métrage fleuve sur le crime organisé autant qu’une œuvre testamentaire pour le cinéaste, une sorte d’élégie funèbre sur l’angoisse de la mort et du temps défilant, qui avait un écho particulier pour le réalisateur. Avec l’adaptation du roman d’investigation signée David Grann, le bien nommé Killers of the Flower Moon, Martin Scorsese est dans la droite lignée du geste cinématographique qu’il a initié, à ceci près que, pour la première fois dans son cinéma, il détourne le regard, tel un chien fuyant son maître, de la sempiternelle figure du gangster, matrice de son cinéma. Scorsese a enfin rompu avec son fétichisme corrupteur des gangsters, miroir d’une Amérique en décomposition. Son éloge funèbre, empreint d’un lyrisme auquel le cinéaste ne nous avait pas habitué, est dédié à Lily Gladstone, métaphore du peuple amérindien face au poison du capitalisme, ici érigé en élégie du meurtre de masse. Le récit prend place au début des années 1920 et décrit la tragédie de la communauté des Indiens Osages de l’État d’Oklahoma, une plaie américaine refoulée aujourd’hui. Après le génocide dont ils avaient été victimes, le gouvernement fédéral les avait parqués dans des réserves à l’écart du monde, condamnés à la cohabitation avec l’homme blanc. Les Indiens, découvrant que du pétrole gisait en abondance sur leurs terres, avaient fait fortune, tandis que la courbe de la richesse s’inversait brusquement au profit des Osages. Un rapport de force insupportable pour l’homme blanc qui entreprit d’exproprier leur or noir par le meurtre de masse, soigneusement organisé par William Hale, un véritable ogre du capitalisme, ici magistralement interprété par Robert De Niro.
- Lily Gladstone et Leonardo DiCaprio dans Killers of the Flower Moon
- © 2023 Apple Studios. Tous droits réservés.
Le point de la bascule que représente Killers of the Flower Moon dans la filmographie de Scorsese a cela d’exceptionnel que le gangster, autrefois glorifié, ou du moins l’objet de fascination absolue de son auteur, est aujourd’hui déconsidéré. Il n’est pas relégué au second plan mais filmé avec une condescendance certaine. Scorsese s’évertue à déshumaniser durant plus de trois heures ses deux avatars filmiques que sont Robert De Niro et Leonardo DiCaprio, jusqu’à qu’il ne reste que des ombres en clair-obscur enfermés dans une prison ressemblant à un cage de cirque pour des animaux sauvages. De Niro, grand instigateur de cette barbarie sans nom, cette prolongation génocidaire à l’origine de la création du FBI, est filmé comme un loup vorace que rien n’arrête. C’est, pour Scorsese, une personnification du capitalisme à l’américaine, consistant à s’enrichir par le vol et l’expropriation. Il y d’ailleurs une séquence particulièrement évocatrice de la nature prédatrice du personnage de William Hale où, pendant que ses terres sont brulées, on l’aperçoit le regard haineux au travers des flammes de l’incendie, devant ses hommes de mains transformés en silhouettes floues et tremblantes dues aux fluctuations entrainées par la chaleur. Scorsese compose cet Enfer de Dante comme un miroir déformant d’une Amérique dont le brasier du péché originel, l’extermination des peuples natifs nécessaires à sa Création, guette de près l’âme américaine pervertie. La mise en scène quasi psychanalytique du cinéaste va encore plus loin en s’autorisant des incartades lyriques auxquels il nous avait très peu habitués, à l’instar de la visite impromptue de William Hale dans la chambre du personnage de Molly Buckhart, interprétée par une Lily Gladstone impériale, la femme amérindienne de son neveu Ernest, alors empoisonnée à l’insuline sur les ordres de Hale. Molly, dont la famille entière a été décimée par le personnage de De Niro, est alors à l’agonie, le corps en circonvolution. Elle aperçoit l’instigateur de son malheur et ne peut dire que cette phrase : Êtes vous réel ?, ce à quoi Hale lui répond : Peut-être pas. Le plan d’après, il n’est plus dans la pièce. Cet échange hallucinatoire est le cœur névralgique du film. Métaphore des derniers restes du peuple amérindien mourant, Molly fait face au fantôme maléfique des États-Unis, ce spectre auquel elle n’a jamais vraiment cru, qui sous-entend avec un sourire narquois la possibilité que son peuple soit effacé de la mémoire américaine d’un revers de main.
- © 2023 Imperative Entertainment. Tous droits réservés.
La véritable héroïne du film, celle par qui arrive tout le malheur, c’est Lily Gladstone. Scorsese l’admet lui-même, elle est pour lui sa boussole morale, un moyen pour lui de s’extraire du carcan dans lequel lui-même s’est enfermé durant des décennies pour enfin se ranger du côté du bien. Killers of the Flower Moon c’est la rédemption de Scorsese, sa profession de foi envers le peuple Osage. On peut même y voir en cette double narration toutes les peurs du cinéaste italo-américain, quant à sa propre mort mais aussi celle d’une certaine idée du grand cinéma Américain. La séquence finale, représentant le peuple Osage lors d’une cérémonie dansante, se révèle, à mesure que la caméra recule et laisse entrevoir en vue du ciel un œil humain formé par tous les Indiens, un regard, celui d’une autre Amérique, pas encore gangrénée par le capitalisme sauvage. Vous l’aurez compris, il s’agit là d’un must see de l’année 2023.
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