Notre avis : Si ce livre s’annonce comme un essai, il se lit délicieusement, comme un carnet de voyage. Emmaillé de réflexions puissantes sur la rencontre des cultures musulmanes et occidentales, il est porté par la thématique de l’érotisme et de sa perception dans ces deux différents univers historiques, politiques et religieux. Il détricote le rapport au corps, la perception du temps et la spiritualité dans leur environnement civilisationnel. Il pratique le grand écart entre l’intimité de l’orgasme et celle de l’extrémisme religieux.
© 2018 Editions Stock / Musée Picasso Paris. Tous droits réservés.
Kamel Daoud utilise des fondamentaux tels que le désert, le sable qu’il impose comme des principes structurants de l’esthétique du vide et de l’attente de la vie dans l’au-delà, prégnants dans la culture monothéiste musulmane. A cette culture pour laquelle le corps n’est que prêter par Dieu, se confronte la profusion et la quête de jouissance, que prône l’occident contemporain, cherchant son Eden sur terre plutôt que dans une autre vie. Il postule que les musées sont des temples de la mémoire, rappelant qu’une civilisation se construit par stratification et évolution de ses valeurs. Ce que certains rejettent, allant jusqu’à piller et détruire ce souvenir.
Tiraillé entre ces deux philosophies de vie, l’auteur oscille en permanence entre mysticisme et désir cannibale. Il voyage avec le peintre, durant cette année passion vécue avec sa maîtresse Marie-Thérèse, comme il traverserait une nuit sacrée. Il déguste et décrypte chacune des œuvres pour mettre en perspective l’art de Picasso et la psychologie de la société dont le peintre s’inspire, la comparant à celle dont il est lui-même issu.
D’une extrême finesse, l’analyse de Kamel Daoud nous porte dans les abysses de l’introspection de l’artiste espagnol, dans les méandres de sa création. En le suivant pas à pas, l’auteur découvre un paysage inattendu sur l’amour chasseur, la déconstruction de l’autre pour finalement se fondre en sa proie, l’ingérer, et au final revenir à soi-même dans un cercle éternel de vies et de morts. L’artiste se révélant à lui-même, au travers de ces représentations aux perspectives démultipliées.