Le 15 avril 2019
Techniquement génial, JR, le nouveau spectacle de la compagnie flamande, FC Bergman, est un événement qui est à la fois, un livre, une pièce, un concert et un film. Le spectateur est invité, assis au côté du metteur en scène, à assister au tournage de saynètes survoltées. Toutes les formes d’art s’inscrivent dans une cohérence de présentation inégalée, pour nous donner à voir des personnages archétypiques de la société américaine de la fin du 20ème siècle.
- Acteurs : Jan Bijvoet, Gene Bervoets, Joé Agemans, Kes Bakker , Wolf Verniers, Michael de Cock, Rashif El Kaoui, Frank Focketyn, Ella-June Henrard
- Metteurs en scène : FR Bergman - Stef Aerts - Joé Agemans - Thomas Verstraeten - Marie Vinck
- Salle de Théâtre : La Villette
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Résumé : Une satire désopilante du capitalisme. Après « Le Pays de Nod », présenté au printemps 2017, la compagnie flamande FC Bergman revient à La Villette avec sa nouvelle création. Adaptation du roman homonyme de l’Américain William Gaddis, JR propulse sur scène l’histoire satirique du jeune JR Vansandt, 11 ans, qui prend d’assaut le marché financier de New York dans les années 70. Inconscient de ses actes et dépourvu de tout sens moral, flanqué d’une armée d’hommes de paille, avocats et spin doctors, il met à nu une société exclusivement gouvernée par l’argent, où chacun tente en vain de donner une forme à sa vie. Dans un décor spectaculaire à quatre étages en constante transformation, théâtre et cinéma s’entremêlent, les points de vue se multiplient et les destins individuels s’enchevêtrent en un formidable chaos collectif. Écrit il y a quarante ans, JR résonne implacablement avec notre monde contemporain, emmené par les dialogues effrénés de William Gaddis et par une stupéfiante équipe d’acteurs. Cette nouvelle œuvre s’inscrit dans la continuité du travail de la compagnie sur l’interconnectivité entre le théâtre, le cinéma et la littérature.
Notre avis : JR sont les initiales mythiques, pour toute une génération de téléspectateurs, du méchant personnage dans la série américaine télévisée Dallas - ton univers impitoyable, comme le clamait la chanson du générique. Diffusée dans les années 80, elle avait pour sujet la vie de riches Américains, vivant dans cette ville à l’époque en plein essor. Hollywood, épisode après épisode, abreuvait le monde d’images relatant d’inintéressantes intrigues amoureuses et financières. La plupart du temps, le tournage avait lieu en studio, à en juger par les lumières parfaitement éclatantes et les impeccables coiffures permanentées. C’est cette même ville de Dallas qui en 2006 a vu s’écrouler son économie, emportée par la tempête des subprimes. En cela le roman, qui sert de fondement à la performance JR, décrit l’irrémédiable et nécessaire chaos qu’entraîne le capitalisme sauvage, la déchéance qu’appelle le goût de l’argent pour lui-même. Jeu de dupe économique promettant le confort matériel pour chaque individu méritant, tout en vampirisant ses économies jusqu’au krach.
Un cube de 15 mètres de côté, sorte de building sur quatre niveaux, est implanté au centre de la grande halle de la Villette. Ses façades rideaux s’ouvrent et se ferment pour qu’on découvre, à chaque étage, les décors que parcourent les comédiens au gré de l’histoire. Les spectateurs installés en corolle au pied de la tour, ne voient que ce qui leur fait face, mais une projection cinématographique commune leur montre les scènes qui sont tournées de tous côtés. Deux caméramans cavalent entre les étages pour capter chacune des scènes et restituer de ces fragments de vie, de cet empilement de caractères, une narration cohérente.
Le spectacle est techniquement génial, inégalé dans le genre. Même quand on décroche de la narration satirique et forcée, le regard est toujours libre de s’attarder sur un détail fascinant de ce plateau en forme de tiramisu. La seconde partie, plus intense, nécessite qu’on endure deux ou trois longueurs de la première, probablement dues à la difficulté de respecter un livre foisonnant et complexe. Mais l’adaptation n’en est pas moins une incroyable réussite. Le spectacle de la violence, si cher aux Américains, semble être un classique néerlandais, tant il est entré dans le jeu et la langue des acteurs.
- Copyright Kurt Van der Elst
Les comédiens sont fantastiques. De la jeune junkie rousse, au musicien minable, en passant par les banquiers véreux. Toute la galerie des personnages classiques d’Harold Pinter à Bukowski est remarquable. Les scènes absurdes et violentes, jouées avec force, accumulent contre cette société sans égard pour les êtres, les accusations légitimes. Mais qui est ce monstrueux JR, l’impitoyable requin de la finance ? Il n’est en fait qu’un jouvenceau habille et sans conscience, comme le système.
Le spectateur mesure pendant toute la représentation, la puissance du cinéma qui met en relief l’espace, en creusant la profondeur de champs et restitue par la proximité de l’objectif auprès des acteurs, la finesse de leurs jeux. Il peut aussi prendre de la distance, il lui suffit de baisser les yeux de l’écran, d’abandonner cette belle image cinématographique, pour voir les tournages, comme on regarde fasciné une maison de poupée où se joueraient nos vies.
- Copyright Kurt Van der Elst
Les gens en marge, il y en a peu, tournent autour de ce monument sacré qu’est le building, édification de la réussite capitaliste : les amoureux qui, dans le sommeil suivant leurs ébats, dorment nus l’un contre l’autre dans un lit, les malades projetés dans des orbites incontrôlables, les sans building fixe, qui errent, comme ce musicien compromis et brisé par un système qui ignore sa sensibilité et enfin les gens de pouvoir qui, dans leur limousine, ceignent le monde.
Ce spectacle heureusement prétentieux est à la hauteur des moyens colossaux mis en œuvre.
A lire le livre ! A voir absolument cette incroyable performance !
Mise en scène Stef Aerts, Joé Agemans, Thomas Verstraeten, Marie Vinck Texte basé sur le livreJR de William Gaddis © 2003, Sarah Gaddis and Matthew Gaddis - DR Adaptation FC Bergman en collaboration avec Bart van den Eynde et Willem Wallyn Conception son Senjan Jansen Conception lumières FC Bergman en collaboration avec Ken Hioco Conception costumes Joëlle Meerbergen
Avec Joé Agemans, Kes Bakker ou Wolf Verniers, Gene Bervoets, Jan Bijvoet, Michael de Cock, Rashif El Kaoui, Frank Focketyn, Ella-June Henrard, Bart Hollanders, Imke Mol, Junior Mthombeni, Stijn van Opstal, Anne-Laure Vandeputte, Marie Vinck, Thomas Verstraeten, Oscar Van Rompay, Geert Van Rampelberg, et d’autres
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