Le 12 août 2019
- Dessinateur : Tardi Jacques
- Genre : Drame, Chronique sociale
- Editeur : Casterman
- Date de sortie : 3 septembre 1993
Jeux pour mourir de Jacques Tardi est une adaptation du roman homonyme de Géo-Charles Véran, grand prix de la littérature policière en 1950.
L’histoire suit le parcours d’une bande de quatre garçons, apprentis délinquants, durant trois jours d’août 1950. Une petite ville de la banlieue de Paris est remuée par l’assassinat d’une vieille danseuse autrefois renommée. Rapidement, l’un d’eux rappelle les faits : afin de dérober des bijoux que la victime gardait pour s’offrir un enterrement digne de sa splendeur d’antan, les quatre garçons l’ont étranglée chacun leur tour.
Au-delà de l’intrigue, l’auteur brosse un portrait acide de l’âge adulte et des déceptions qui l’accompagnent, jouant avec l’innocence incertaine de l’enfance. Dans un monde où tout n’est que trahison, fausseté et violence, l’enfant peut-il trouver sa place ? Ayant besoin d’images identificatoires solides, afin de se structurer, que peut-il être sinon une copie plus manichéenne de ses aînés ? Ils n’ont qu’une possibilité : fuir.
A la manière d’un cinéaste, Tardi a investi le texte, lui donnant le réalisme poétique de ses dessins. Son découpage est précis, sec. Il représente la bêtise humaine sans méchanceté ni cynisme, mais avec sensibilité et générosité. Il n’excuse pas mais il cherche à comprendre.
Tout ici est jeu, un jeu plein d’ambiguïté, retors mais dont ni l’auteur ni le lecteur ne perd l’aspect ludique. D’ailleurs, qui joue ? Pas les enfants, qui ne comprennent rien aux règles, mais les adultes pipant les dés à malice, tirant les ficelles, se jouant de leurs cadets comme s’ils ne possédaient pas la vie. L’auteur, voulant dénoncer une maldonne est lui-même pris à son jeu : la critique prendra le texte pour un excellent roman policier, lui accordant un prix. Mais Tardi a compris qu’il s’agit en fait d’une tragédie : le peuple poignardé par une certaine décadence de la société d’après-guerre.
Si l’histoire ne prête pas à rire, Tardi lui oppose les couleurs chaleureuses et les rondeurs bonhommes de ses illustrations. Des plans de cinéma font leur apparition pour les transitions. Il retrouve l’univers des banlieues d’après-guerre, sorte de no man’s land où la ville est encore loin d’être installée. Lui mieux que quiconque sait évoquer l’ambiance des cafés populaires où l’on sirote un ballon de rouge au comptoir. Un tramway, un pan de mur couvert d’une publicité peinte, une rue pavée déserte, ou les décharges, chaque image est empreinte de cette nostalgie de l’époque révolue où le désespoir sentait la poésie d’une innocence pas encore tout à fait disparue.
Le dessinateur, qui s’engluait à l’époque dans le personnage de Nestor Burma, a visiblement pris du plaisir à ce travail représentant une sorte de renaissance pour lui. Tardi n’appartient à aucun groupe, si ce n’est à celui des auteurs humanistes. A la manière des cinéastes marqués par les guerres et le Front populaire, il montre le dur apprentissage de la vie des classes populaires. Si, dans les histoires qu’il met en image le fatalisme est fortement présent, c’est avant tout un acte militant.
D’après le roman de Géo-Charles Véran (Jeux pour mourir, L’Atalante, 1989, 250 pages)
Tardi, comme Géo-Charles Véran, refuse cette société où les pères ne transmettent à leurs enfants que la corde qui leur servira à se pendre.
238 pages
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