Le 25 juin 2003
L’écriture pour remonter le fil du temps et revenir sur les traces d’un père.
L’écriture pour remonter le fil du temps et revenir sur les traces d’un père. Loin des querelles partisanes, Leïla Sebbar nous offre sur les événements d’Algérie dans les années 50 - période confuse et polémique - un livre rare.
Mon père est arabe, ma mère est française... et moi... ? et moi... ? pourrait dire Leïla Sebbar dans sa langue qui est le français. Je ne parle pas la langue de mon père... Mais ni non plus la langue des familiers de son père (comme l’indique en leitmotiv chaque début de chapitre), de sa mère, d’Aïsha et de Fatima, des femmes de son peuple, de ses sœurs, etc. "[...] il devait considérer [...] que nous étions nous, ses enfants, des étrangers, les filles et les fils de l’étrangère."
De même que la langue est un pont entre les hommes, la méconnaissance d’une langue instaure un fossé, une béance. Toute son enfance, Leïla cherche à savoir, cherche à connaître tout ce qui ne se dit pas... "Pourquoi tu remues tout ça ? A quoi ça sert ? Oublie, va, oublie", lui dit son père. Mais comment oublier quelque chose que l’on ignore ? Leïla comprend que ce silence était comme un paravent que son père dressait pour protéger ses enfants de l’implacable souffrance de la guerre.
Mais lui-même a vécu sa vie comme un paradoxe. Instituteur, musulman et communiste, il enseigne le français à l’école et respecte cette culture dont ses filles sont imprégnées. C’est pourtant la langue de l’envahisseur, qui colonise, assassine et menace les siens, ses amis les plus chers, lui-même. Comment ses enfants pourraient-ils le comprendre ? Comment comprendre qu’il attende d’être en prison, devant celui qui devait l’assassiner, pour se confier à lui et lui pardonner son geste ?
Il y a au fond de lui une force, une grandeur, celle de considérer que tous les hommes qu’il a eu à croiser au cours des événements d’Algérie, amis ou ennemis, étaient les jouets du destin mais surtout des frères en humanité.
L’écriture est belle, forte et imagée. On est pris par ce voyage à la recherche du temps perdu et par ce témoignage de personnages entraîné dans des tourbillons de haine, sans jamais cesser d’être des hommes.
Leïla Sebbar, Je ne parle pas la langue de mon père, Julliard, 2003, 130 pages, 15 €
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