Le 31 janvier 2024
- Plus d'informations : Le site des éditions Vendémiaire
Entretien avec William Blanc, coauteur du Dictionnaire du Moyen Âge imaginaire, aux éditions Vendémiaire.
Le médiévalisme, ce Moyen Âge fantasmé et réinventé qui « en dit plus long sur notre époque que celle qu’il représente. » Le Moyen Âge est omniprésent dans notre imaginaire collectif : les arts, en tête desquels le cinéma, y puisent souvent des références et des symboles, ceux-ci apparaissant même dans des œuvres n’ayant peu ou prou rien à voir avec l’époque médiévale. Débusquer et analyser ces signifiants, c’est le travail entrepris par Anne Besson, William Blanc et Vincent Ferré, qui ont dirigé le Dictionnaire du Moyen Âge imaginaire (Éditions Vendémiaire, 2022).
AVoir ALire : Dans votre ouvrage, vous distinguez plusieurs vagues de médiévalisme à travers l’histoire des arts. Quels sont les signes distinctifs du médiévalisme d’aujourd’hui ?
William Blanc : On peut distinguer plusieurs vagues de médiévalisme ; celle que nous nommons avec Vincent Ferré et Anne Besson la « troisième vague », qui prolifère depuis les années 1960, est fortement empreinte de fantasy. Elle a débuté dans la littérature avant de se poursuivre au cinéma dans les années 1980 avec des films comme Conan le Barbare ou Willow puis de connaître le succès que l’on sait avec des franchises comme Harry Potter ou la première trilogie du Seigneur des Anneaux. Les chiffres sont d’ailleurs très parlants : ce médiévalisme tirant vers la fantasy marche très bien, là où un film historicisant comme Le derniel duel de Ridley Scott a connu un échec cinglant au box-office mondial. Le Moyen Âge historique intéresse donc aujourd’hui moins le public. Si l’on prend l’exemple des dernières adaptations en date du mythe arthurien ou de Robin des Bois, on voit bien que l’aspect historique y est repoussé au dernier plan : le film de Guy Ritchie est même presque un Seigneur des Anneaux saupoudré de légende arthurienne.
Vous démontrez que le médiévalisme est aussi présent dans des genres qui lui sont a priori très éloignés, comme le western.
William Blanc : Il faut avoir en tête une définition plastique du médiévalisme, celui-ci étant avant tout constitué de stéréotypes, d’une imagerie que l’on va apposer, et qui se concrétise par de nombreux éléments. François Amy de la Bretèque, qui fut l’un des premiers historiens à étudier le cinéma médiévaliste, appelait cela des iconogrammes : des éléments de décors, des images, des détails, qui « font » médiéval. C’est la raison pour laquelle on peut retrouver des éléments médiévalistes dans un film contemporain. Il y a peu, je suis intervenu dans un colloque pour évoquer un film qui, a priori, n’a rien à voir avec le Moyen Âge : Citizen Kane (1941) d’Orson Welles. Au cœur de ce film, vous trouvez le palais de Xanadu, qui fait allusion à un poème médiévaliste de Samuel Taylor Coleridge. Plus globalement, chaque film Disney produit depuis les années 1980 commence par le plan d’un château…
Je précise toutefois que notre but avec ce dictionnaire n’est pas de faire un simple catalogue mais de traquer les éléments médiévalistes, et d’expliquer leur rôle, leur fonction. Ainsi, dans les films post-apocalyptiques, les éléments médiévalistes sont légion. Pourquoi ? Tout simplement parce que, dans notre imaginaire, le Moyen Âge est l’inverse de la modernité. On aurait ainsi quitté le Moyen Âge pour entrer dans la modernité ; quand le monde moderne s’effondre, c’est là qu’on retourne. Dans la récente série The Walking Dead : Darryl Dixon, le dernier épisode se déroule par exemple au Mont-Saint-Michel… « C’est peut-être un détail pour vous », comme on dit, mais pour un historien, « ça veut dire beaucoup » !
N’est-ce pas également une certaine vision des affrontements, des oppositions, qui est empruntée au Moyen Âge ? Si l’on reprend le cas de Citizen Kane, le grand patron y devient un avatar du suzerain d’hier ; les premiers tycoons américains étaient justement surnommés les « barons voleurs », vocable emprunté au Moyen Âge.
William Blanc : Tout à fait : dans Citizen Kane, on retrouve ce discours critique des capitaines d’industrie qu’on a très vite comparés aux grands seigneurs. Ces grands patrons de l’ère moderne ont fait construire pour exu-mêmes des châteaux, que cela soit leurs résidences ou leurs usines. Orson Welles va même encore plus loin puisque, pour lui, toute cette immense forteresse ne repose que sur du vide. Car que recherche Charles Foster Kane, in fine ? Retrouver son innocence, sa pureté d’enfance perdue.
Je prendrai l’exemple d’un autre film, plus ancien encore : La Grande illusion (1937) de Jean Renoir. Là encore, l’aspect médiévaliste est très marqué, puisqu’une grande partie du récit se déroule dans un château. Sur les quatre personnages principaux, deux (interprétés par Jean Gabin et Marcel Dalio) s’échappent du château. L’un est prolétaire, l’autre est commerçant et juif. En face d’eux, le capitaine de Boëldieu (Pierre Fresnay), issu de la vieille aristocratie, reste prisonnier du château et y est tué par le commandant von Rauffenstein (Erich von Stroheim), lui-même noble allemand. Le message est très clair : les aristocrates restent prisonniers tandis que ceux qui représentent les classes modernes s’échappent. Là encore, le château a une fonction clé dans ce discours, d’autant qu’il est chargé de signifiés très puissants.
Vous décelez aussi de nombreux symboles médiévalistes dans les films de super-héros, récits reposant souvent sur une lutte manichéenne entre le Bien et le Mal.
William Blanc : Je pense que c’est plus complexe, que cela variera plutôt d’un film à l’autre. Batman est clairement le super-héros le plus médiévaliste : il est le « Chevalier noir », est accompagné de Robin – qui doit beaucoup à Robin des Bois – et habite à Gotham City, l’un des surnoms de New York mais aussi, littéralement, « la ville gothique ». Le Joker reprend lui l’imagerie médiévale du bouffon. Tout cela se situe dans la lignée du roman gothique, très ancré dans les pays anglophones, qui donne à voir un Moyen Âge très pesant, anxiogène. Les gratte-ciels avec les gargouilles, que l’on trouve aussi dans la franchise Batman, véhiculent aussi cette image-là et évoquent les films d’horreur.
À l’inverse, si on prend l’exemple de Captain America ou d’Iron Man, ces personnages ont été pensés comme des chevaliers, qui reprennent eux une imagerie assez manichéenne, avec cette idée d’un médiévalisme doré. Une version moderne du preux chevalier qui protège la veuve et l’orphelin.
Le cinéma médiévaliste repose également en grande partie sur des « cycles », des films mettant en scène des personnages iconiques : le roi Arthur, Robin des Bois ou Jeanne d’Arc… Après tant de siècles, quelles sont les raisons faisant qu’on retourne encore et toujours à ces figures ?
William Blanc : De ces trois récits, le cycle arthurien est clairement celui qui a généré le plus d’adaptations. Là encore, on en revient à la plasticité de ces mythes : on peut s’en emparer et leur donner presque tous les sens que l’on veut. Au cinéma, on trouve de ce mythe des variations conservatrices, des variations écologistes… C’est la même chose concernant Jeanne d’Arc : elle peut devenir tour à tour nationaliste, féministe, de gauche, de droite… Ces récits sont en fait la projection de leurs créateurs et créatrices.
Ces histoires sont d’autant plus ancrées dans notre imaginaire qu’elles ont intéressé d’autres arts, visuels ou musicaux, avant d’être adaptées au cinéma. Pour le mythe arthurien, il y a notamment eu le Parsifal de Richard Wagner et, pour Robin des Bois, le livre illustré par Howard Pyle, ouvrage pour la jeunesse qui a largement influencé les adaptations filmiques du personnage au début du XXe siècle.
Pour vous, le cinéma médiévaliste s’ancre précisément dans le temps long, tant il a été influencé par les arts qui l’ont précédé.
William Blanc : Exactement. Certains plans de films reprennent trait pour trait des tableaux. Au cours du XIXe siècle et au début du XXe, il y a eu une importante production de tableaux figuratifs, très faciles à reprendre au cinéma. On constate également cela dans le cas du péplum, qui s’est inspiré de « l’art pompier ». Bien sûr, avec les années, la culture du cinéma s’est épaissie, et celui-ci s’est progressivement détaché de la peinture. Avec cependant des exceptions comme Akira Kurosawa, qui était doté d’une immense culture picturale, s’est beaucoup inspiré de la peinture pour ses films et peignait lui-même des toiles.
Une autre caractéristique du médiévalisme est qu’il en dit souvent plus long sur son époque de production que sur le Moyen Âge.
William Blanc : Tout à fait. Je citais Kurosawa, ses Sept samouraïs (1954) célèbrent la paysannerie japonaise et marque la fin de l’ère des samouraïs, qui symbolisent le Japon militariste défait en 1945. On retrouve également cela dans Hara-kiri (1962) de Masaki Kobayashi, œuvre d’une grande virulence sur la violence de ces samouraïs. Le cinéaste expose les mensonges sur lequel repose le code d’honneur de ces derniers et, par ricochet, montre bien que cette caste militariste du Japon du XXe siècle était composée de menteurs et de gens sans honneur. Tout cela n’est pas dit textuellement, plutôt à travers des références et une imagerie – mais pour un spectateur japonais des années 1960, c’est limpide.
Vous vous intéressez également aux usages – et mésusages – politiques de l’histoire médiévale. Comment ceux-ci peuvent-ils resurgir au cinéma ? Le personnage de Jeanne d’Arc, notamment, a souvent servi de porte-étendard à l’extrême droite…
William Blanc : Il est intéressant de constater qu’assez peu de films ouvertement réactionnaires ont été consacrés à Jeanne d’Arc. Cela s’explique sans doute par le fait que la plupart des films récents sur Jeanne d’Arc ont plutôt été produits de l’autre côté de l’Atlantique. Les États-Unis sont un pays très johannique, mais leur vision de Jeanne d’Arc y est sensiblement différente : elle y est presque vue comme une préfiguration du féminisme. Des propos politiques peuvent aussi transparaître dans de nombreux autres films médiévalistes. Quand vous prenez Les Aventures de Robin des Bois (1938) de Michael Curtiz, avec Errol Flynn, le héros doit être compris dans le contexte du New Deal, qui est une charge très claire contre le fascisme, d’autant qu’il était produit par Jack Warner, républicain et conservateur certes, mais lui-même juif.
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