Le 9 avril 2024
- Réalisateur : Sébastien Lifshitz
- Distributeur : Ad Vitam
Sébastien Lifshitz nous parle de son nouveau documentaire, Madame Hofmann, en salles mercredi 10 avril 2024.
Cette œuvre poignante dresse le portrait d’une infirmière pleinement dévouée aux autres. Tout en posant des questions éminemment politiques quant à l’avenir de l’hôpital public.
Qu’est ce qui vous a incité à consacrer un documentaire sur une infirmière aussi dévouée ?
L’idée de ce documentaire est née lors des dernières prises de vues d’Adolescentes où Anaïs effectuait un stage en tant qu’aide-soignante à l’hôpital. J’y ai vu des infirmières transmettre leur savoir et intégrer une nouvelle génération dans leurs équipes. J’ai été assez ému par ce passage de relais. C’est cela qui ma donné envie de faire un portrait de femme et d’imaginer de manière fantasmée ce que deviendrait Anaïs dans vingt ans. Après quoi, il a fallu choisir la ville où se déroulerait le tournage. J’ai immédiatement pensé à Marseille, une ville avec une identité singulière, assez rebelle. Bien que les aides-soignantes aient une obligation de réserve, je savais que, quoi qu’il arrive, ça déborderait à Marseille étant donné la culture locale, le tempérament des habitants. J’avais besoin de ne pas être dans quelque chose de compassé, de retenu, de contrôlé. Les personnages devaient être libres et eux-mêmes.
Comment avez-vous jeté votre dévolu sur Sylvie Hofmann ?
Le lancement du casting pour trouver l’infirmière qui serait au centre du film a été fortement perturbé par l’arrivée de la Covid. Heureusement, une directrice de casting de Marseille a fait passer des annonces sur les réseaux sociaux et dans les services médicaux. Cela nous a permis de prendre le pouls de l’état de l’hôpital en rencontrant de nombreuses infirmières, en nous imprégnant de leur histoire afin de comprendre ce qu’est une vie de soignant.
Et voilà qu’un jour, Sylvie Hoffmann m’appelle pour me proposer de rencontrer des infirmières de son service. En échangeant avec elle, j’ai eu un flash. Même si, à l’origine, je pensais suivre une infirmière de trente ou quarante ans, j’ai été saisie par son expérience, sa carrière, son vécu. Elle était passionnante, sans filtre, avec mille histoires à raconter, parfois en colère mais aussi souvent drôle. Je lui ai dit que l’évidence de lui consacrer un film s’était imposée à moi en raison de sa personnalité et de son parcours de vie. J’ai dû lui faire comprendre que je n’allais pas que la filmer à son travail, mais aussi chez elle, dans sa sphère intime et privée, afin de faire le portrait de sa vie et de son engagement.
- © AGAT FILMS - ARTE France - 2023
En quoi consiste votre dispositif de tournage afin de saisir le réel de manière aussi juste ?
J’utilise toujours le même dispositif. En l’occurrence, nous sommes quatre sur le plateau : un cameraman, un ingénieur du son, un assistant mise en scène et moi-même. Toute la difficulté du documentaire, c’est de faire entrer une écriture, une grammaire, dans la manière de filmer, dans la mise en scène, alors que les lieux ne sont pas toujours adaptés à cela. Un service d’hôpital, c’est l’anti-plateau de cinéma. Mais comme nous avions programmé le tournage sur un an, nous avons pu nous adapter, en repérant les lieux, les axes problématiques ou les lumières qui nous posaient problème. Ce qui était important pour moi, c’était la question du point de vue. Je ne voulais pas que le film pose un regard objectif sur l’hôpital comme une sorte de dossier neutre. Au contraire, je tenais à raconter le film du point de vue de Sylvie. Nous sommes avec elle et faisons ressentir cette subjectivité qui se construit par la mise en scène, à travers des choix de focales ou de cadres qui donnent le sentiment d’être avec elle.
Toute cette préparation peut toutefois être perturbée lorsque un événement inattendu surgit soudainement ?
En effet, si nous anticipons au maximum en découvrant les lieux, nous plongeons par la suite dans la réalité où nous n’avons parfois que quelques secondes pour trouver le bon emplacement, le bon axe, la bonne focale, le bon cadre… Il peut y avoir des ratés qui sont alors coupés au montage sauf si ils sont nécessaires au récit. Nous essayons d’être dans une rigueur de mise en scène pour construire cette écriture à laquelle je suis très attachée. Nous avons tourné durant cinquante jours répartis sur une année. Ce qui représente cent cinquante heures de rushs pour un film de 1h45. À titre de comparaison, Adolescentes a nécessité cinq ans de tournage et nous disposions de cinq cent heures de rush.
- © AGAT FILMS - ARTE France - 2023
Il y a notamment un événement qui emmène le film dans une autre direction : la décision de Sylvie de partir en retraite…
Ce n’était pas du tout prévu. Quand nous avons débuté le tournage, Sylvie n’envisageait pas du tout de prendre sa retraite quelques mois plus tard. Mais elle a vite éprouvé un sentiment de « trop plein », à la fois mentalement et physiquement. Elle a pris conscience qu’elle devait arrêter et s’occuper d’elle. Même si cela n’a pas été facile car elle avait le sentiment d’abandonner son équipe. Cela a été un bousculement pour moi car tout d’un coup, le film partait dans une direction différente, et je me suis retrouvé à filmer quelqu’un qui disait adieu à quarante ans de sa vie et entamait un nouveau chapitre. Cela complexifiait le récit, lui donnait une densité, et apportait un rebondissement intéressant à filmer. Toute la vie de Sylvie a été structurée par son travail passionné. Elle s’est toujours donnée sans compter. Dès lors, il était intéressant d’observer comment elle allait gérer son départ. Nous filmions une sorte de libération et de réinvention de sa vie.
Comment va-t-elle désormais ?
Elle dit que la retraite est le plus beau métier du monde (rires). Elle est heureuse de son choix pour l’instant. Elle ne s’est jamais reposée et a donc désormais du temps pour elle et profite de la vie, en faisant ce qu’elle ne faisait pas auparavant, comme voyager. Elle est si curieuse et généreuse qu’elle ne se montre jamais blasée par rien et excitée par tout. Mais peut-être sera-t-elle rattrapée prochainement par sa passion et prêtera main forte à ses anciennes collègues avec lesquelles elle est toujours en relation.
Au-delà de signer un portrait de femme engagée, aviez-vous une volonté de réaliser un film politique afin d’aborder frontalement la situation actuelle de l’hôpital public ?
Effectivement, réaliser ce film devait me permettre de dresser un état des lieux à la fois de la France et de l’hôpital public qui est une sorte de lieu miroir de la société française. C’est le lieu de la République. C’est là qu’une justice sociale s’applique, avec cette santé pour tous à laquelle nous sommes très attachés. Et en même temps, on voit qu’aujourd’hui, cette institution est devenue très fragile. À tel point que ce système de santé ne pourra plus fonctionner comme il a fonctionné jusqu’à aujourd’hui. De plus, une nouvelle génération de soignants arrive. Et celle-ci n’entretient plus le même rapport au travail que ses aînés. Elle ne souhaite pas s’inscrire dans une posture sacrificielle dans laquelle tant de générations se sont inscrites précédemment. À tel point que Sylvie s’est elle-même interrogée sur son propre parcours. Donner sans compter jusqu’à se mettre en danger n’est ni bon ni sain. Quand une nouvelle génération arrive et qu’un système est à bout de souffle, cela nécessite de se poser des questions d’ordre politique.
Si nous voulons préserver cette paix sociale et cet État-providence qui font partie de notre culture et de notre identité, le problème reste entier. Pour l’instant, aucun gouvernement n’a pu répondre à cette équation. L’hôpital est en crise mais c’est une crise structurelle qui a toujours existé et existera peut-être toujours. Dès lors, il est plus que nécessaire de remettre le personnel soignant au cœur des enjeux, en lui assurant de meilleurs salaires et de meilleurs droits. L’hôpital est un lieu où on nous répare, où on nous accompagne, et où nous sommes tous assurés de nous rendre un jour ou l’autre. C’est un lieu essentiel dans la vie de chacun qui, à l’instar de l’école, crée une égalité sociale. Or ces deux lieux sont mis à mal aujourd’hui et ne sont plus des lieux dans lesquelles la jeunesse souhaite s’inscrire. Si tout le monde se détourne de l’enseignement ou de la médecine, nous courons vers un grave problème.
Propos recueillis par Nicolas Colle
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.