Le 20 février 2020
- Réalisateur : Laurent Heynemann
Le film Je ne rêve que de vous était présenté le mercredi 12 février, au cinéma Les Ecrans de Gournay en Bray, dans le cadre d’une ciné-rencontre en présence de Laurent Heynemann, son réalisateur. Cette manifestation avait lieu sous l’égide de l’ACAP (Pôle régional image conventionné par l’Etat et la Région Hauts-de-France), qui participe à la promotion des films coproduits en région.
Est-ce un choix personnel d’avoir travaillé pour la télévision pendant une vingtaine d’années sans réaliser de films pour le cinéma ?
A la fin des années 90, je n’arrivais plus à travailler au cinéma comme je le souhaitais. Mes producteurs historiques ne me proposaient que des projets qui ne m’intéressaient pas. Et il faut bien le dire, je manquais d’inspiration. Et comme j’avais déjà travaillé pour la télévision et qu’elle me faisait des propositions intéressantes, notamment par l’intermédiaire de Pierre Grimblat, j’ai accepté. A cette époque, la télévision recherchait beaucoup de professionnels du cinéma pour leur proposer des séries de qualité (Maigret, les nouvelles de Maupassant…). J’y ai trouvé beaucoup de satisfaction, malgré les contraintes imposées par ces formats.
J’aurais pu me tourner vers d’autres activités artistiques, mais ce que je préfère dans ce métier, c’est la période de tournage, me lever très tôt, aller sur le plateau, être au contact des équipes et des acteurs, alors j’ai décidé de continuer à tourner.
Comment êtes-vous venu au cinéma ?
Très jeune, je n’avais pas le droit d’aller au cinéma mais ce n’était pas faute d’en avoir envie : dans mon milieu, il fallait lire et écouter de la musique classique. Ma mère étant disparue trop tôt, j’ai pu ensuite y aller avec une certaine boulimie. J’ai vu beaucoup de films de tous les styles. Je me souviens d’avoir été très impressionné par Hatari de Howard Hawks que j’ai eu l’occasion de voir avec mon père. Enfin, je dis d’Howard Hawks maintenant, mais à l’époque, c’était avant tout un film avec John Wayne. Et puis au début des années 60, j’ai découvert la cinéphilie grâce aux ciné-clubs, et c’est alors que j’ai pu voir le même jour, La mort aux trousses d’Alfred Hitchcock et un James Bond, peut-être le tout premier. Il s’avère que dans les deux, le héros est poursuivi par un avion dans l’un, un hélicoptère dans l’autre. Et c’est là que j’ai compris ce qu’était le génie de la mise en scène. Autant la scène du James Bond manquait d’imagination, mais non de moyens, autant chez Hitchcock, c’était à peu près tout l’inverse. Quel talent dans la façon de cadrer et de monter ses plans. J’étais illuminé et j’ai compris ce que pouvais être le langage cinématographique. J’ai un goût très large, qui va de Hawks à Bergman. Et puis, il y a eu la découverte de Godard, qui a fait à la fois une œuvre et une réflexion sur le cinéma : Pierrot le Fou a été un film majeur pour ceux de ma génération.
Vous avez été, dès votre premier film, l’un des rares cinéastes à cette époque à parler de la torture pendant la guerre d’Algérie. Le montage de sa production a t-il été difficile ?
Ca n’a pas été particulièrement facile, mais je ne me suis pas posé la question comme ça. Le livre « La question » d’Henri Alleg publié en 1958, mais que j’ai découvert dix ans plus tard, a été l’un de mes livres de chevet. Le livre, qui venait d’être réédité, était augmenté d’une préface signée Jean-Paul Sartre qui disait en substance, que de Henri Alleg et de ses tortionnaires, c’est Alleg qui avait gagné parce que c’est lui qui représente l’humanité. D’ailleurs, les intellectuels ont toujours été importants dans ma carrière par le regard qu’ils ont pu porter sur des œuvres d’inspiration historique que j’ai pu adapter. C’est le cinéaste Michel Mitrani sur Les guichets du Louvre, pour qui j’étais assistant, et Bertrand Tavernier sur L’horloger de Saint-Paul et Que la fête commence ! (pour qui j’étais assistant aussi), qui m’ont poussé vers la mise en scène. Et pour moi, adapter « La question » était une évidence, malgré la difficulté du sujet.
Vous avez eu l’occasion de travailler avec Philippe Noiret, Jean Rochefort ou encore Jean-Pierre Marielle, tous disparus aujourd’hui. Pouvez-nous parler de vos relations de cinéma avec eux ?
En fait, ils venaient tous de la famille du cinéma que je connaissais. Ils ont tous leur caractère, mais en quelque sorte je n’ai jamais été impressionné par les acteurs, connus ou pas. Curieusement, il n’y a que Jacques Dutronc (dans Le mors aux dents) qui m’a quasiment terrifié, pas à cause de lui, mais parce que ce n’était pas vraiment un acteur, mais une vedette. Sinon, les bons comprennent vite et se mettent au service du metteur en scène, même s’ils amènent des idées, bien sûr.
Même une actrice comme Jeanne Moreau, passé quelques exigences, m’a beaucoup apporté sur le film La vieille qui marchait dans la mer.
Et puis, j’ai vite compris que l’on ne doit pas écrire pour un acteur précis. Au début des années 80, j’ai été bouleversé par le défection de Patrick Dewaere qui m’a fait faux bond pour Il faut tuer Birgitt Haas, préférant rejoindre Bertrand Blier pour Beau-père, à qui, disait-il, il ne pouvait rien refuser. Philippe de Broca, que j’ai croisé à ce moment-là, m’a persuadé qu’il suffisait de modifier le scénario et que beaucoup d’autres acteurs, de talent bien sûr, pouvaient faire l’affaire. C’est ainsi que Jean Rochefort a accepté le rôle et il y a été très bien.
Vous avez souvent traité de sujets basés sur des faits historiques réels et parfois dérangeants. Vous sentez vous une forme de filiation avec Yves Boisset dont vous avez été l’assistant sur Folle à tuer en 1975 ? Ou encore plus en amont avec André Cayatte ?
En préambule, je précise revendiquer de ne pas avoir fait de films politiques ou militants, mais des films historiques.
Effectivement André Cayatte, bien sous-estimé à l’époque, a fait des films, de vrais films de cinéma basés sur des sujets sensibles. C’est très bien que l’on semble le redécouvrir aujourd’hui, y compris dans des revues spécialisées où jadis il fut brocardé…
Yves Boisset, que je connais mieux évidemment pour avoir été son assistant, a bien bousculé le cinéma français des années 70, mais reste surtout, malgré toute la réelle affection que j’ai pour lui, un metteur en scène qui ne fait confiance qu’au scénario, avec une mise en scène un peu punchy et qui ne s’embarrasse pas toujours de vérité historique. En outre, il avait une excellente relation avec les acteurs .
Connaissiez-vous cette partie de la vie de Léon Blum avant de travailler sur le film ? Et qu’est ce qui vous a séduit dans cette histoire ?
Non, je l’ai découvert avec le livre de Dominique Missika « Je vous promets de revenir : 1940 – 1945, le dernier combat de Léon Blum », dont le film est adapté. La passion de cette femme, Jeanne Reichenbach dite « Janot », était réelle, à tel point que Blum dans son testament a précisé que « Janot » n’aurait rien, car elle était décidée de ne pas lui survivre. Maintenant, cette Janot n’étais pas forcément aussi sympathique que dans mon film. François Hollande que je connais m’a rapporté une anecdote : lors de la compagne électorale pour la présidence en 1974, François Mitterrand lui a demandé d’aller la trouver pour obtenir son soutien, il a été éconduit vertement !
Comment avez-vous travaillé avec les comédiens. Notamment Elsa Zylberstein et Hippolyte Girardot ? Est-ce vous qui les avez choisis directement ?
Hippolyte Girardot, j’avais déjà travaillé avec lui à la télévision. C’est un acteur très intelligent et de toute façon, c’était assez facile pour lui de se couler dans le personnage : un chapeau, des lunettes rondes et une moustache, et le personnage est là. Maintenant, il a vite compris son personnage. C’est lui qui a eu l’idée, pour l’une des premières scènes, d’avoir un pantalon trop court, et le personnage était là. Elsa Zylberstein n’était au départ pas pressentie. D’autres actrices n’ont pas pu, ou ont refusé pour diverses raisons. Et un jour, son nom est apparu, nous l’avons rencontrée et elle avait une telle détermination qu’elle a eu le rôle et elle est très bien.
Que pensez-vous de la jeune génération d’acteurs et d’actrices ?
La relève est largement assurée ! Chez les garçons, j’apprécie François Civil et Swann Arlaud. Chez les filles, j’aime bien Ana Girardot et « votre » Sara Giraudeau *
* Sara Giraudeau est marraine d’une des salles du cinéma les Ecrans de Gournay en Bray.
Avez-vous d’autres projets de cinéma ? Et si oui, que pouvez-vous en dire ?
Oui, j’ai un projet, mais je ne veux rien en dire pour le moment. Sachez simplement que si le film se fait, l’action se situera quelques jours après le scandale des « Panama Papers ».
Interview réalisée avec le concours d’Annik Braquehays.
Merci à l’ACAP des Hauts-de-France et à Christine Rousselin-Disarbois, présidente du cinéma Les Ecrans de Gournay en Bray qui ont favorisé cette rencontre.
Galerie Photos
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