Le 8 mai 2024
- Réalisateur : Bruno Mercier
- Distributeur : Les Mûres sauvages
À l’occasion d’une projection spéciale au cinéma Olympia (Dijon), nous avons eu le bonheur de poser quelques questions au réalisateur franc-comtois Bruno Mercier. Son neuvième film Citadel est en salles depuis le 24 avril 2024.
aVoir-aLire : Bruno Mercier, bonjour. Merci d ’accorder une interview à avoir-alire.com, à l ’occasion de la sortie de votre film Citadel. Nous avons quelques questions à vous poser.
Bruno Mercier : C ’est parti. Je suis preneur.
aVoir-aLire : Il n’y a pas d ’âge pour embrasser une nouvelle vocation. Vous aviez cinquante ans quand vous avez opté pour la réalisation. Que diriez-vous à celles et ceux qui n’osent pas ?
Bruno Mercier : Alors là, si on n’ose pas, c ’est qu’on ne vit pas. La vie, c’est oser. C’est hyper important quand on a un désir vrai, qu’on a le sentiment qu’il faut changer sa vie, il ne faut pas trop tergiverser, parce que plus on réfléchit, moins on fait. Et je suis humain comme tout le monde. Donc, à un moment donné, il a fallu que je tombe d’une falaise, que je risque ma vie pour vraiment changer. Je suis vraiment tombé d’une falaise quand j’avais quarante-et-un ans. Je faisais une année sabbatique. J’étais à l’époque architecte, j’avais gagné un énorme concours. Et je pensais être lancé enfin dans le métier. Et pas de chance pour moi. Le Conseil régional a annulé le projet au démarrage du chantier. C’était une telle claque, parce que pour moi, c’était quand même pratiquement dix-huit ans de travail non stop jour et nuit pour arriver à ce résultat. J’étais devenu tellement malade, dépressif par rapport à cela que la mère de mes enfants (j’ai deux filles) m’a dit : « Bruno, on va aller sur une île, tu vas te détendre et te reposer. » Et on m’a mis au vert comme ça : cela m’a fait du bien effectivement, mais en même temps j’ai eu une passion pour l’océan car c’était à l’île d’Yeu. J’ai eu une passion pour l’océan, je m’étais mis à filmer et à photographier les énormes vagues des grandes marées en prenant beaucoup de risques, en m’approchant trop près des falaises où c’est vraiment interdit d’aller. Et ce qui devait arriver est arrivé, une énorme vague pendant une grande marée est venue au-dessus de la falaise et m’a emporté. J’ai roulé dans les pierres et les pitons rocheux. Et en même temps, deux secondes après, j’ai été mouliné comme dans une machine à laver à cinq six mètres sous l’eau, puis je me noyais, c’était foutu. Et je me disais : « c’est trop con, je ne vais pas revoir mes deux filles juste pour faire une photo. » Et finalement, il y a une autre vague qui m’a repoussé tout à l’eau de la falaise. Et là, je me suis agrippé, et j’ai réussi à m’extirper. Je ne sais pas comment j’ai pu grimper et monter sur le vélo. Je saignais de partout. Je pensais que mon crâne était ouvert. Donc, je n’avais qu’une envie, c’était arriver et dire à mes filles que je les aimais et que j’étais un vrai con pour faire de telles photos. Et je suis arrivé dans le jardin de la maison. Je me rappelle de l’accueil de ma fille aînée, alors âgée de dix ans. Je me suis retrouvé dans une baignoire avec des pompiers qui m’ont aspergé d’eau chaude. Puis, plus rien. Je me suis réveillé dans une chambre d’hôpital. Et là, j’ai déjà touché mon corps. Tout bougeait et j’étais super content. En même temps, j’étais sous morphine, c’est pour cela que tout allait bien. Mais pendant les quinze jours où j’ai été allongé dans le plus petit hôpital de France, celui de l’île d’Yeu, j’ai pris une décision : celle d’arrêter cette folie de l’architecture et de faire le métier que j’avais toujours eu envie de faire, de concrétiser mon rêve de faire des films.
aVoir-aLire : La Citadelle de Besançon est un décor exceptionnel pour un long métrage, non ? C’était gagné d’avance ?
Bruno Mercier : Non, parce que c’est tellement énorme. Il y a tellement de perspectives. Il y a tellement de monde aussi, de touristes, d’enfants qui crient. Ce n’était pas simple. Mais j’ai eu l’opportunité que le directeur de la Citadelle maximise mes chances. Quand quelqu’un te fait confiance comme ça, tu vas les yeux fermés, tu fonces, et tu as l’envie de lui rendre cette générosité qu’il te donne en t’offrant un décor comme ça pour le film. Donc j’ai pris des repères pendant un mois pour savoir à quel moment la lumière frisait les murailles. Si bien que j’ai placé chaque scène avec les tournages à telle heure, de telle heure à telle heure. Donc, en amont, il y a énormément de travail pour que l’image et la lumière fassent jaillir les murailles de la citadelle.
aVoir-aLire : Vous placez votre film sous l’influence d’Alfred Hitchcock. Pourquoi ?
Bruno Mercier : Oui. C’est le même système que Hitchcock. Il y a le même système de perversion où on va tuer quelqu’un en utilisant le manque d’une autre personne qui va faire le travail pour nous, tout en faisant aussi un travail pour elle. C’est ce double jeu qui m’intéressait et qui est vraiment propre à Hitchcock.
- Copyright Les Mûres Sauvages
aVoir-aLire : Votre film de Hitchcock préféré, si vous deviez en choisir un ?
Bruno Mercier : Vertigo.
aVoir-aLire : Le casting a été difficile ou les choix aisés ?
Bruno Mercier : Ce n’est jamais simple, un casting. Parce que déjà, je suis une petite production. Je travaille avec des financements hyper réduits. C’est le financement de ce que le film d’avant a gagné. J’ai écrit aussi le scénario avec le nombre de tournages. Tout est vraiment contrôlé. Et du coup, c’est surtout des acteurs que je connais et avec des nouveaux acteurs aussi que je teste. Et des fois, c’est très dur de dire à un ami qu’on ne le choisit pas. Je prends quelqu’un d’autre. Pour moi, c’est très dur parce que j’adore mes amis. Je suis assez rigoureux d’emblée, maintenant. Je veux être sûr de mes choix. Donc, je prends mon temps pour faire des essais.
aVoir-aLire : Pouvez-nous parler de votre direction d’acteurs ?
Bruno Mercier : En amont, on a d’abord la lecture du scénario, mes intentions et mes attentes. Mais quand on tourne, les acteurs n’ont pas le temps de réfléchir. Et je n’ai même pas le temps de leur parler. Parce que je cadre, je filme. Et on va d’un endroit à un autre en courant parce qu’on a quelques minutes pour tourner la scène avant que la lumière ne corresponde plus au relevé que j’ai fait. L’acteur a fait tout son travail en amont. Ensuite, on ne discute plus avec les acteurs. Ils n’ont pas le choix. Et s’ils n’ont pas été bons dans la scène, ce n’est pas grave. on va à la suivante. Ils ont beaucoup de frustration. Je m’excuse pour eux.
aVoir-aLire : Est-ce que vous considérez Citadel comme votre film le plus abouti ?
Bruno Mercier : Le plus abouti ? Oui. Dans le sens où, pour l’avoir déjà présenté dans une dizaine de cinémas, pour en avoir discuté avec le public, j’ai jamais eu autant de retours positifs de spectateurs qui étaient emballés et ont adoré l’histoire. On ne m’a jamais dit cela. Là, il y a quelque chose qui était presque une évidence avec le twist final, mais que je révèlerai pas. Et d’un seul coup, les spectateurs ont eu vraiment un suspense jusqu’au bout. Le thriller a fonctionné.
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aVoir-aLire : Votre filmographie est déjà très riche. À quand le prochain long-métrage ? je pense à Lili et le fantôme.
Bruno Mercier : Ah, il y a Lili et le fantôme que j’aimerais vraiment réaliser mais qui va demander encore du temps. La colline aux papillons qui va aussi en demander. Tous mes prochains projets sont assez chers. Je ne peux pas les faire avec mon système actuel de production. Et là, en plus, j’ai eu une bourse d’écriture pour écrire sur un film qui parle de l’Iran. Jusqu’à aujourd’hui, donc, c’est parti pour deux ans d’enquêtes, d’interviews, de voyages. Et là ce n’est pas gagné.
aVoir-aLire : Si vous aviez quelques mots à adresser au spectateur pour le convaincre d’aller voir Citadel, lesquels choisiriez vous ?
Bruno Mercier : Wow, fantastique ! Vous allez voir la Citadelle de Besançon comme vous ne l’avez jamais vue. Et c’est confirmé par tous les spectateurs. Vous allez être plongés comme dans un rêve mais aussi un cauchemar. Et cela, les spectateurs adorent. Et vous verrez le plaisir aussi d’une image très travaillée au niveau de la colorimétrie et un travail sonore qui a duré presque deux ans. On n’entend plus du tout les touristes, on est comme dans un espace vide avec les cris des animaux, le vent. C’est vraiment incroyable. Ah oui, allez-y !
aVoir-aLire : On va jouer un peu maintenant. C’est la question carton blanche. Il y a une question qui a peut-être manqué à votre sens et que vous auriez aimé qu’on vous pose ? Je vous laisse choisir laquelle, et vous y répondez. D’accord ?
Bruno Mercier : La question, c’est comment vous avez tourné cette scène incroyable avec les singes dans les douves ?
aVoir-aLire : D’accord.
Bruno Mercier : Au départ, cette scène n’était pas dans le scénario. J’ai eu l’idée de faire descendre l’actrice dans les douves avec les singes. Bien sûr, elle ne voulait pas. J’ai réussi finalement à la convaincre tout comme le directeur et les soigneurs pour qu’on puisse y aller. Je ne souhaite pas dévoiler la scène parce que je veux que le spectateur la découvre. Mais je peux dire une chose, c’est que les soigneurs m’ont dit et à l’actrice également ceci : chaque singe peut soulever jusqu’à trois-cents kilos et les projeter jusqu’à vingt ou trente mètres de distance. Ils peuvent te démembrer en un rien de temps. De plus, il n’y avait que des mâles et l’actrice n’était pas partante du tout. Et finalement, elle l’a fait quand même mais la peur qu’elle joue, elle ne la joue pas du tout. Elle avait vraiment peur.
aVoir-aLire : Bruno Mercier, merci. Nous souhaitons tout le succès à Citadel, actuellement en salles.
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