Le 16 août 2018
Un road movie attachant qui croise avec singularité protagonistes de fiction et personnages de documentaire.
- Réalisateur : Anne Alix
- Acteurs : Lola Dueñas , Bojena Horackova, Serge Geairain, Mohammed Tora San Be, Dora Manticello, Alexandre Violet
- Genre : Comédie dramatique, Road movie
- Nationalité : Français
- Distributeur : Shellac
- Durée : 1h43mn
- Date de sortie : 15 août 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018, ACID 2018
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Résumé : Avignon. Irma, qui ne trouve plus sa place dans le monde, croise sur sa route Dolores, une femme libre et décomplexée missionnée pour rédiger un guide touristique gay-friendly sur un coin de Provence oublié. L’improbable duo se lance sur les routes. Au lieu de la Provence pittoresque et sexy recherchée, elles découvrent un monde plus complexe et une humanité chaleureuse qui lutte pour exister. Pour chacune d’elle, c’est un voyage initiatique.
Critique : Anne Alix avait réalisé des documentaires et animé des ateliers de parole au Théâtre de la Cité de Marseille et à la prison de Villepinte. Elle mêle dans ce premier long métrage les genres du road movie et du buddy movie, en mode féminin. Cette approche avait déjà été celles de Ridley Scott dans Thelma et Louise ou Paolo Virzi dans Folles de joie. Là s’arrête la comparaison, tant le film d’Anne Alix est éloigné de la noirceur jubilatoire culte du premier et du sentimentalisme un brin roublard du second. Il se passe quelque chose est né de la volonté de la réalisatrice de tourner une fiction dans sa région natale, la Provence, en prenant pour point de départ une amitié naissante entre deux femmes en apparence différentes. Irma est d’origine populaire, introvertie, au bout du rouleau et manquant d’assurance, quand Dolores respire l’optimisme et baigne dans un milieu davantage ancré sur le plan culturel. Le voyage en voitures de ces deux-là aura vite une connotation initiatique, bien qu’elles aient dépassé la cinquantaine, persuadées que leur bonheur véritable appartient au passé. L’originalité du long métrage est d’avoir greffé ce canevas fictionnel à un matériau documentaire, puisque tous les personnages qu’elles vont croiser sur leur route sont joués par des hommes et des femmes qui incarnent leurs propres rôles, servant de catalyseurs dans l’évolution mentale de la Bulgare blessée par l’existence et de l’Espagnole un brin fofolle.
- Copyright Shellac
Le projet d’Anne Alix est ici novateur, même si Agnès Varda (qui témoigne d’une humanité similaire) avait ouvert la voie en intégrant des habitants du terroir à ses récits fictionnels, des pêcheurs dans La Pointe Courte aux cultivateurs de Sans toi ni loi. Mais Anne Alix les met davantage au centre du scénario et de la mise en scène, bien que l’affiche valorise les deux actrices professionnelles dont les personnages sont certes centraux. Des ouvriers agricoles, des sidérurgistes, des toréadors ou des réfugiés, d’Avignon à Marseille, de la Camargue aux petits villages reculés de Provence, ont un statut qui ne relève en rien de la figuration et exercent un rôle moteur dans le déroulement de l’histoire. On fait ainsi la connaissance de Dora, restauratrice à Martigues, et à ses heures compositrice et cartomancienne ; Mohamed, migrant éthiopien intégré dans le club d’athlétisme de Miramas (et dont on a appris récemment qu’il était malheureusement l’objet d’une procédure d’expulsion) ; ou Serge, technicien de gestion chez ArcelorMittal, dont le rôle a cependant davantage été travaillé et remodelé au vu de son importance dans le récit ; et bien d’autres dont la présence dévoile sur une subtile mise en abîme dans le dispositif.
- Copyright Shellac
Leurs échanges avec Dolores et Irma feront vite prendre conscience à la première qu’elle s’est trompée d’objectif dans sa mission professionnelle, et sa vie en général, tandis que la seconde tentera de panser ses blessures à leur contact. « Le pari du film est celui de la légèreté et de la vie [avec un] duo des deux personnages construits sur le modèle de la comédie, un duo auguste et clown blanc, lunaire et solaire... Plutôt que d’assener un discours critique qui risquerait d’enfermer le réel, j’ai choisi le mode interrogatif et fait le pari du surgissement », a précisé la cinéaste. C’est ici un autre mérite d’Anne Alix que d’être passée par ce ton décalé pour dénoncer certaines injustices et inégalités tout en ayant opté pour une étude psychologique. Le métrage confirme enfin l’immense talent de Lola Dueñas que l’on connaissait surtout pour ses seconds rôles chez Almodóvar et qui offre ici une belle prestation, entre ironie et mélancolie.
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