Le 8 avril 2003
La romancière norvégienne livre quelques clés sur son univers et celui de Dina, son héroïne.
Herbjørg Wassmo est l’auteur d’une oeuvre considérable, qui s’étend de la poésie aux livres pour enfants en passant par le théâtre. Elle est l’un des auteurs norvégiens les plus lus en dehors de son pays aujourd’hui et ses ouvrages ont été traduits en de nombreuses langues. Son premier succès populaire fut la trilogie de Tora, qui raconte l’enfance et l’adolescence meurtries d’une petite fille, née des amours de sa mère norvégienne avec un soldat allemand pendant la 2e guerre mondiale. Avec Le livre de Dina, Herbjørg Wassmo conte l’histoire d’une autre enfant mal-aimée et livrée à elle-même. Devenue une jeune femme impétueuse et obstinée, Dina cherche désespérément quelqu’un à qui s’accrocher, jusqu’à sombrer dans la folie.
Le livre de Dina a rencontré un succès populaire phénoménal en Scandinavie et a été salué par la critique de tous les pays dans lesquels il a été publié. Comment expliquez-vous qu’un personnage aussi violent que Dina, une femme que l’on doit faire l’effort de comprendre, que l’on ne peut pas aimer passivement, ait suscité un tel engouement ?
Je pense que c’est avant tout parce que Dina est un personnage littéraire qui agit. Beaucoup de femmes rêvent de régir leur propre vie, alors qu’en réalité elles sont souvent enfermées dans des conventions dont elles ne peuvent s’affranchir sans risquer de se couper de leur entourage et de perdre leurs repères sociaux. Lire l’histoire de Dina est, pour elles, une sorte de libération. Du coup on oublie les raisons qui ont fait que Dina se conduit ainsi. Si on imagine une Dina qui n’a pas perdu sa mère, qui n’a pas eu ce traumatisme, avec un père, qui, s’il n’est pas parfait, est là quand même, qui la regarde et qui est sans doute fier d’elle, elle aurait été un personnage peut-être plus chaleureux et sympathique.
Outre son histoire familiale, dans quelle mesure Dina est-elle conditionnée par l’environnement dans lequel elle évolue, cette nature hostile et ces paysages de fin du monde ?
Le nord de la Norvège est très différent du sud, plus ouvert sur l’Europe. Les gens sont obligés de vivre au rythme de la nature. La nuit polaire y dure deux mois. Les saisons sont très différentes les unes des autres. La mer est un élément majeur. La côte est magnifique mais les tempêtes très dangereuses. La pêche est la principale ressource et le poisson est à l’origine de la fortune de la ville de Bergen, ce qui constitue d’ailleurs la trame historique du livre. Les montagnes forment une sorte de frontière infranchissable vers le reste du pays. Chacun est isolé dans son île et les gens sont complètement dépendants de la nature, conditionnés.
Je pense que tous les hommes sont influencés par la nature. Les relations entre les humains sont malgré tout les plus importantes dans l’évolution des personnages. Comme pour tous les gens qui vivent là-bas, la nature joue un grand rôle pour Dina mais le plus important, c’est qu’elle a été privée d’amour et d’attention pendant son enfance. C’est une enfant abandonnée, qui ne communique finalement qu’avec sa mère, qui est morte.
Dina fonde tout son savoir sur la lecture de la Bible qu’elle appelle le "Livre de Hjertrud" (sa mère). Dans quelle mesure cela influence-t-il ses choix ?
La Bible joue un grand rôle pour moi. Je ne viens pas d’un milieu très religieux mais j’ai passé beaucoup de temps dans les églises et également dans un presbytère. La Bible est l’ouvrage le plus important de la littérature et le plus ambivalent, avec toutes ces règles qui en réalité se contredisent : "oeil pour oeil et dent pour dent" et "tu ne tueras point" ou "tends l’autre joue".
Dina lit la Bible comme le diable le ferait. Elle y trouve ce qu’elle y cherche. En fait, elle lit la Bible de la même façon qu’un fondamentaliste. Sa religiosité est tout à fait personnelle et elle retire des textes ce dont elle a besoin. Je ne pense pas que Dina soit profondément religieuse. Elle n’a confiance en personne, même pas en un dieu. En fait, elle n’a confiance qu’en elle-même. C’est seulement à partir du deuxième volet, quand elle se décide à quitter Reinses et ses racines et partir à Berlin, qu’elle arrive à se détacher de ses impulsions violentes. Elle commence lentement à se construire un personnage moins destructif. Dans Fils de la Providence c’est en réalité le fils qui est au coeur de l’histoire et Dina passe au second plan. Il est aussi un enfant abandonné, l’histoire se répète. C’est la solitude de l’enfant qui constitue en fait le lien entre tous mes livres.
Le premier tome de la trilogie, Les limons vides ; débute avec, en prologue, la mort violente de Jacob, un épisode qui se situe en réalité à la fin de cette première partie. Quels sont les éléments qui ont déterminé la structure tout à fait originale du récit ?
Le livre de Dina est constitué de trois livres, avec un prologue et un épilogue. Le prologue, la scène très dramatique de la mort de Jacob, vient d’un cauchemar que j’ai fait. C’est la première fois que j’ai vu Dina. J’ai rêvé qu’un traîneau tombait dans un ravin. Dans mon cauchemar, c’était moi qui me trouvais dans le traîneau. J’ai vu alors cette femme au sommet qui me regardait. J’ai cru que c’était également moi, et que j’avais envoyé le traîneau dans le ravin. C’était un cauchemar affreux et j’ignorais ce qui était le pire : être celle qui avait poussé le traîneau ou celle qui était dans le traîneau. Le livre commence par ce conflit : quel est le pire des deux ? Etre un assassin ou être assassiné ? Je me suis réveillée ravie de n’être ni l’un ni l’autre, mais d’être l’écrivain. J’ai donc décidé d’écrire ce cauchemar et la trilogie a suivi.
Les passages de la Bible et le chant de douleur de Dina, qui ponctuent le récit, ont-ils été écrits dans le corps du texte ou sont-ils intervenus plus tard, comme des commentaires sur l’histoire ?
Parfois c’était spontané. Mais j’ai mis beaucoup de temps à rédiger le livre (un an), car j’écris en fait des tas de petits morceaux de texte, dont ces passages. Au final mille pages ! Puis j’ai décidé de couper toute l’histoire de Stine car il a fallu que je fasse un choix entre son histoire et celle de Dina, et du coup je l’ai évacuée définitivement. Ce n’était, de toute façon, pas assez bon.
Votre écriture est à la fois simple et précise et extrêmement poétique. Elle transcende véritablement l’univers et le personnage de Dina.
Dina a si peu de paroles que c’est assez compliqué à exprimer. En tant qu’auteur, j’étais complètement désespérée par cette femme qui ne s’exprime qu’à travers ses actions et ne raconte rien. Cette façon de répéter perpétuellement "Je suis Dina", c’est une sorte de provocation, alors qu’elle refuse de s’exprimer, de laisser l’auteur voir ce qui se passe dans sa tête. Dina est un personnage désespérant pour un auteur. C’était très difficile de la comprendre puisqu’elle ne disait rien. Par contre, son fils, c’était très différent parce qu’il y avait une très bonne communication entre nous ! Nous avons beaucoup discuté, nous sommes même partis ensemble à Copenhague dans les quartiers de prostituées !
Avez-vous, après la trilogie de Tora et Le livre de Dina, continué à explorer ce thème de l’enfance meurtrie ?
Les musiciens ont toujours un thème de prédilection. C’est aussi mon cas, je reviens toujours à ce thème de l’enfance meurtrie et ses conséquences, en y apportant des variantes différentes. L’être humain est un être abandonné. Souvent les enfants livrés à eux-mêmes portent les responsabilités et essaient d’être les parents de leurs parents, et finalement ne sont pas eux-mêmes de bons parents. C’est difficile d’être un être humain et c’est cette difficulté que j’essaie d’exprimer. Ce conflit entre prendre en charge les autres et se prendre en charge soi-même, c’est également celui de la femme. L’enfant négligé exprimera toujours ce manque de l’enfance avec violence dans sa vie adulte.
Quelle a été votre appréciation du film et notamment des partis pris de Ole Bornedal qui fait, par exemple, du père de Dina un homme froid et dur, presque caricatural, comme presque tous les hommes du film d’ailleurs ?
Dans le livre, le père éprouve une véritable reconnaissance pour Dina. Niels, le fils adoptif, est beaucoup moins dur et l’autre fils, Anders, loin d’être en retrait comme dans le film, est tout à fait central. Mais c’est le choix du metteur en scène. Un film est nécessairement différent, car c’est un autre médium. En donnant mon autorisation, j’ai réalisé que Dina deviendrait tout autre chose. Je me suis décidée à ne pas intervenir. En réalité, je suis ravie du film, mais j’aurais préféré que certaines choses soient plus développées. Je regrette, par exemple, que toutes les parties qui se déroulent autour de la cuisine et du personnage de Oline aient disparu. J’aurais préféré que l’on minimise plutôt l’importance du personnage de Niels. Et qu’on approfondisse aussi plus le personnage de Tomas. Mais s’il avait fallu restituer tout le contenu du livre, le film aurait duré cinq heures.
C’est vrai que les hommes sont parfois caricaturés dans le film. Mais j’ai apprécié notamment le personnage du précepteur et la scène de sa première rencontre avec Dina est une des plus belles que j’ai vues.
Comment avez-vous réagi en apprenant que c’était la fragile Maria Bonnevie qui allait interpréter la fougueuse Dina ?
J’ai ri ! Puis j’ai été très impressionnée de la performance de cette jeune actrice qui a livré un véritable rôle de composition, elle si frêle et Dina si impétueuse. Elle a vraiment démontré qu’elle était une grande comédienne.
Propos recueillis à Paris le 1er avril 2003. Un grand merci à Luce Hinsch, traductrice des ouvrages de Mme Wassmo en France et son interprète à l’occasion de cet entretien.
Photo©Marten Krogvold
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