Hell Bent / Du sang dans la prairie - La critique du film

Le tout jeune Ford et sa vedette Harry Carey visitent la mythologie de l’Ouest avec un humour sympathique et un beau sens de la respiration.

L’argument : Un romancier reçevant une lettre de lecteur lui demandant de dépeindre un héros ordinaire, ni bon ni mauvais, contemple une toile de Frederic Remington intitulée A Misdeal.
La toile s’anime sous ses yeux et on assiste à une violente dispute à l’issue d’une partie de cartes que vient de quitter précitemment Cheyenne Harry, joueur (et tricheur) invétéré.
Harry arrive à Rawhide où il se lie d’amitié avec Cimmaron Bill. Il prend la défense de Bess Thurston lorsque la jeune femme fait, sur les instances de son frère, ses débuts de danseuse dans un saloon.
Alors qu’il tente d’empêcher des bandits de forcer le coffre fort de la banque, il reconnaît le frère de Bess parmi les cambrioleurs et renonce à intervenir.
Beau Ross, le chef de la bande, enlève la jeune femme.

Notre avis : De la série de plus de vingt westerns réalisés par le tout jeune John (Jack) Ford pour la firme Universal entre 1917 et 1919 et interprétés par Harry Carey seuls trois ont survécu : le magnifique Straight shootig / Le ranch Diablo (sorti en août 1917), le très drôle et enlevé Bucking Broadway / A l’assaut du Boulevard (décembre 1917) qui fait débarquer le cow-boy sur le pavé new yorkais, et ce Hell Bent dont une belle copie tchèque (avec intertitres en allemand) figure au programme de la vaste rétrospective Ford organisée par la Cinémathèque Française du 3 décembre 2014 au 23 février 2015.
Carey y incarne son personnage habituel de mauvais garçon sympathique, joueur invétéré, gros buveur, bagarreur, mais avec ce qu’on serait tenté d’appeler un bon fond.

Harry Carey dans Hell Bent - John Ford 1918

Qu’il monte dans sa chambre d’hôtel à cheval (enfin celle, déjà occupée, dont il a décidé de prendre possession), chante à tue tête pour sceller son amitié avec un complice de beuverie, essaie de se frayer un chemin à travers les danseurs dans la grande salle du saloon ou manque de se brûler en tentant de tenir délicatement une tasse de thé, ou encore qu’il s’enroule dans une couverture pour affronter une tempête de sable, l’acteur se montre parfaitement à l’aise dans son numéro déjà bien rôdé.
Les autres personnages sont également bien campés, en particulier le méchant raffiné joué par Joe Harris qui demande au héros s’il a déjà entendu parler de Mazzepa avant de le faire attacher à un cheval.

Hell Bent - John Ford 1918

On voit que le goût du folklore et un humour gentiment parodique sont à l’oeuvre dans cette évocation d’un Ouest qui, en 1918, était déjà totalement entré dans la légende comme le démontre clairement l’ouverture sur le tableau de Remington.
Une jolie note d’émotion réussit pourtant à pointer son nez de ci de là et un accent d’authenticité, de réalisme non filtré par les conventions qui allaient plus tard régir le genre, règne notamment dans les scènes du saloon grouillant de monde (les buveurs, les danseuses) où Ford réussit, souvent en plan d’ensemble, à organiser un joyeux désordre fait d’une foule de micro- événements.
A seulement 24 ans, le cinéaste fait montre d’une remarquable maîtrise des techniques de la narration cinématographique et d’un sens certain de l’efficacité dramatique mais il se distingue aussi par une espèce de nonchalance souveraine et l’ample respiration qu’il réussit à insuffler à ce film sans grandes prétentions mais plein de verve. Bref : un petit Ford à ne pas manquer.

Hell Bent - John Ford 1918