Coupable désigné
Le 29 avril 2011
Ce palpitant feuilleton à rebondissements démontre que Germaine Dulac n’est pas seulement une brillante théoricienne de l’avant-garde mais tout simplement une immense cinéaste.
- Réalisateur : Germaine Dulac
- Acteurs : Régine Bouet , Georges Charlia, Maurice Schutz, Madeleine Guitty, Monique Chrysès, Jean-David Evremond, Jean d’Yd, Jeanne Brindeau, Mario Nasthasio , Paul Menant
- Nationalité : Français
- Durée : 4h 05mn
- Date de sortie : 28 décembre 1923
- Plus d'informations : http://filmographie.fondation-jerom...
L'a vu
Veut le voir
Ce palpitant feuilleton à rebondissements démontre que Germaine Dulac n’est pas seulement une brillante théoricienne de l’avant-garde mais tout simplement une immense cinéaste.
L’argument :
– 1) La Nuit tragique : M. Dornay est assassiné dans sa propriété de St Germain. On soupçonne du crime Philippe de Savières, amoureux de la belle Mme Dornay. Philippe apparaît bientôt chez ses parents amenant avec lui une petite romanichelle Gossette. Il affirme à son père qu’il n’est pas le meurtrier mais son père ne peut le croire et veut le châtier lui-même. Heureusement Mme de Savières s’interpose.
– 2) Le Revenant : Le père demande alors à son fils de disparaître. Mais au moment où il quitte l’hôtel des Savières, des policiers arrivent. Philippe se jette dans la Seine. On le suppose mort et l’affaire est close.
– 3) Face à face ...
– 4) L’Embûche ...
– 5) Les Lettres volées ...
– 6) La Vengeance du mort ...
Notre avis : Le nom de Germaine Dulac (1882-1942) est étroitement associé à l’avant-garde cinématographique française des années 20 et ses films les plus connus sont considérés comme des classiques du cinéma expérimental : La fête espagnole (1919 - écrit par Louis Delluc), La souriante madame Beudet (1923) ou La coquille et le clergyman (1927) qui, écrit en collaboration avec Antonin Artaud, déchaîna l’ire des Surréalistes.
Mais cette brillante théoricienne et ardente féministe exerça aussi ses talents dans un cinéma de genre destiné à un large public, signant notamment des feuilletons à rebondissements dans la veine de Feuillade comme Âmes de fous, en 1918, et, plus tard, cette Gossette, scène dramatique en 6 épisodes, produite pour Pathé Consortium Cinéma par la Société des Cinéromans et adaptée d’un roman de Charles Vayre que le quotidien L’Écho de Paris publia du 23 novembre 1923 au 24 janvier 1924, anticipant sur la sortie du film (entre le 28 décembre et le 31 janvier).
La cinéaste se plie à l’exercice avec une jubilation évidente et communicative, captivant l’attention pendant ces plus de quatre heures de projection qui supportent très bien d’être vues en continu, l’immersion totale étant peut-être même préférable à une vision morcelée qui risque de rompre le charme.
Tous les ingrédients du genre sont au rendez-vous : innocence persécutée, sombres machinations, déguisements et changements d’identité, acrobaties et morceaux de bravoure en tous genres, retournements de situation imprévus, suspense : le tout raconté avec une véritable verve de conteur alliée à un sens aiguisé de la mise en scène.
Car Germaine Dulac ne renonce en rien à ses ambitions et, bien loin de se contenter d’illustrer platement le récit, elle multiplie les effets d’écriture, recourant à une palette stylistique d’une extrême richesse : caméra subjective (la plongée sur les policiers affairés autour du lampadaire), scènes vues en miroir, surimpressions, jeux sur les éclairages, image déformée, utilisation virtuose du cadre et du montage.
Ces effets ne sont jamais gratuits mais étoffent la texture de l’histoire et des personnages, leur conférant, sans forcer le trait, une complexité et une humanité qui fait généralement défaut à ce type d’entreprises. D’autant que l’interprétation est de tout premier ordre.
Si Régine Bouet semble à priori trop solide pour incarner la fragile héroïne elle convainc totalement par son jeu franc et exempt de toute mièvrerie.
Son partenaire Georges Charlia a toute la grâce juvénile et les qualités acrobatiques requises par le rôle de Philippe, le héros faux coupable qui parviendra à prouver son innocence après moult épreuves.
Les méchants sont très réussis. Le cupide Robert, celui qui manigance tout (Jean-David Evremond, sourire en coin), et ses acolytes, le chauffeur ivrogne exécuteur des basses oeuvres (Paul Menant) et le sinistre Andriano, l’homme serpent lanceur de couteaux, (Mario Nasthasio) sont à la fois inquiétants et pathétiques.
Mais on signalera aussi Maurice Schutz, parfait en père noble, Monique Chrysès émouvante en coquette élégante et malheureuse, et l’irrésistible Madeleine Guitty en patronne de troupe de cirque ambulant.
Car le film, relevé d’un humour savoureux (l’enquête policière expédiée par un commissaire très sûr de son fait) et baigné le plus souvent dans une éclatante lumière méditerranéenne, décrit avec un remarquable souci d’exactitude les milieux les plus divers (bars chics et courts de tennis fréquentés par la haute société, monde des forains, petits cafés de campagne, ville portuaire) et la variété des ambiances contribue grandement à l’enchantement que procure la vision de Gossette.
Si le Musée d’Orsay a consacré à Germaine Dulac une rétrospective en 2005, et si La coquille est disponible en DVD (ainsi que Madame Beudet et le très beau L’invitation au voyage en édition allemande) l’oeuvre de cette cinéaste de première envergure reste trop peu vue. Elle vaut pourtant largement le détour et devrait combler les attentes des plus exigeants.
Galerie Photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.