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Le 6 janvier 2004
Entretien avec Gilles Marchand, un cinéaste qui vous veut du bien...
- Réalisateur : Gilles Marchand
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Après avoir travaillé en tant que scénariste avec des cinéastes émérites tels que Laurent Cantet (Ressources humaines) et Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien), Gilles Marchand signe un premier long métrage éprouvant, hypnotique, baptisé Qui a tué Bambi ?, une étrange histoire d’amour teintée de Lynch, de sadomasochisme cérébral, d’onirisme et de fantastique.
Comment avez-vous trouvé Sophie Quinton ?
Je l’ai découverte par une amie comédienne qui avait vu Peau de vache, un court métrage de Gérald Eustache dans lequel Sophie Quinton jouait et où elle était formidable. Elle m’avait conseillé de voir ce film, ce que j’ai fait. J’ai demandé à la rencontrer, elle a lu le scénario, elle l’a aimé. A ce moment, je rencontrais des actrices plus expérimentées qui avaient fait plus de longs ; et Sophie m’a paru la plus "Bambi" des actrices. Ce qui me plaisait chez elle, c’est qu’elle était assez fragile et enfantine d’apparence, à la fois par sa blondeur et son visage. C’était la victime potentielle idéale. Mais en même temps, on sent très vite qu’elle peut devenir une héroïne, comme le Bambi de Walt Disney. Elle a de la vivacité, de l’impertinence, voire de l’audace. Elle a également une part d’ombre, car ses désirs sont assez étranges. D’ailleurs, une phrase m’a accompagné pendant l’écriture du film et que j’avais dite d’ailleurs à Sophie pendant le tournage, une phrase d’un psychanalyste contemporain de Freud qui a surtout travaillé sur la musique. Cette phrase était presque une blague parce qu’elle disait : "la jeune fille était pauvre mais propre ; ces rêves étaient tout le contraire". Cela laissait sous-tendre de l’ambiguïté comme si le docteur faisait partie des rêves d’Isabelle.
Vous avez été le co-scénariste de Harry, un ami qui vous veut du bien de Dominik Moll dans lequel Laurent Lucas jouait déjà. Si on compare ces deux rôles, ils sont différents : dans Harry..., il est vulnérable et menacé ; tandis que dans Qui a tué Bambi ?, il est effrayant et menaçant.
Effectivement, c’est une coïncidence assez drôle. Tout le monde a eu cette même réaction, probablement parce qu’on imagine plus Laurent Lucas dans le rôle de Michel, le bon père de famille un peu débordé, plutôt sympa dans Harry.... J’ai mis très longtemps à imaginer que je pourrais proposer ce rôle à Laurent Lucas. J’ai fait des essais avec beaucoup de comédiens avant et qui étaient pour certains assez convaincants en docteur Philippe mais il y avait toujours quelque chose qui coinçait un peu. Et enfin, j’ai osé penser à Laurent Lucas en me disant "tiens, peut-être qu’il a quelque chose d’inquiétant". C’est d’ailleurs Dominique Moll qui m’a dit : "Tu devrais peut-être voir Laurent.". Je suis rentré chez moi, j’ai pris le dvd de Harry..., j’ai fait des arrêts sur image sur la tête du personnage de Laurent à la fin du film, quand il est un peu plus inquiétant. Et là, je me suis dit qu’effectivement, il avait une drôle de tête, Lucas, avec ses beaux yeux (rires). Il est entre le séduisant et l’inquiétant. Je l’ai appelé pour faire les essais, il s’y est prêté avec beaucoup d’enthousiasme, et il s’est imposé. Je l’ai trouvé formidable, mais j’ai fait un long trajet pour lui proposer le rôle.
C’est vrai qu’il est toujours habitué aux rôles de gentils rassurants...
Enfin bizarrement moins cette année, où il s’est retrouvé avec le Tirésia de Bertrand Bonello qu’il connaît très bien puisqu’il a fait son premier film Quelque chose d’organique. Le réalisateur a eu la même démarche, c’est-à-dire aller chercher dans sa veine plus obscure. Laurent est un excellent comédien. A la sortie de Harry..., c’est Sergi Lopez, qui est également un brillant acteur, qui a pris toute la lumière sur lui. Probablement d’ailleurs parce que Laurent renvoie très bien la lumière sur les autres et qu’il est à la fois assez indispensable au cinéma français. On le voit de plus en plus souvent mais les gens ne l’ont pas encore tout à fait bien identifié. C’est sûr que lorsque je l’ai appelé et que je lui ai dit "cette fois, je voudrais que ce soit toi qui joues le méchant", là, il a tout de suite compris, sans doute parce qu’il y avait ici une petite revanche à prendre...
Dans quelle mesure les univers de Lynch et de Kubrick vous ont-ils inspiré ?
J’ai été littéralement irradié par Eraserhead que j’ai vu à sa sortie en 1981. C’était le seul qu’il avait fait à ce moment-là. Par la suite, j’ai vu tous ses autres films. Pour moi, c’est un immense cinéaste, l’artiste vivant le plus important à mes yeux. Du coup, il m’a sûrement beaucoup influencé dans mon travail, mais j’espère ne pas trop être le gentil élève qui veut imiter le grand maître. Disons que la thématique qu’il explore me passionne : les ombres de l’âme humaine, le versant obscur de l’être... Quant à Kubrick, je le considère aussi comme un très grand cinéaste. J’ai été assez traumatisé par Shining, 2001... La force de Kubrick est de taper dans des genres différents à chaque film, créer des écarts toujours surprenants. Pour parler de docteur, j’adore Docteur Folamour !
Comment s’est passé le bain de foule cannois ?
Je l’ai vécu heureusement. J’ai eu une petite répétition avec Harry.... Certes, je n’étais pas le réalisateur mais j’étais très impliqué dans le film et c’était très important que ça se passe bien. Pour Harry..., ce fut un tel triomphe que ce ne fut pas difficile. Déjà, quand votre film est choisi au Festival de Cannes, en compétition officielle, c’est exceptionnel... Cannes, c’est un peu ma mythologie. Je suis marseillais d’origine, je n’habite pas très loin de Cannes. J’y suis allé la première fois à treize ans. Depuis, j’y suis retourné plus d’une vingtaine de fois. Parfois les films se tournent au printemps, donc je ne peux pas y aller mais j’adore voir les films à Cannes. C’est un milieu en général où on dit qu’il faut détester Cannes parce que c’est tellement superficiel, ce qui est vrai aussi : c’est une foire terrible. Mais, moi, ça me fait rêver. Donc quand mon film a été sélectionné là-bas, j’étais à la fois très fier, très ému et un peu flippé. Pendant ces trois jours de pure folie, on a l’impression qu’on vous pose dans Space Mountain et qu’on va vous secouer dans tous les sens, à gauche, à droite, à l’envers, à l’endroit et que tout défile. Vous ne savez plus si vous avez mal au ventre, si vous êtes grisé de bonheur ou pas... J’avais de la chance d’être très bien entouré. Laurent et Sophie ont découvert le film pendant la projection à Cannes : Laurent était en tournage au Québec et Sophie, au théâtre. Clairement, ils l’ont découvert dans une salle de 2500 places, avec tout le monde en smoking. J’imagine avec l’estomac un peu noué. Moi j’étais assis entre eux deux, à les écouter vibrer, trembler... C’était un grand moment pour nous tous. Le film a été très bien accueilli, la salle a applaudi à tout rompre. En plus, au Festival de Cannes, lorsque le film est fini, ils projettent l’image de l’équipe du film qu’ils filment en vidéo et toute la salle peut voir toute votre émotion. Et comme ils voyaient notre émotion à tous les trois, ils applaudissaient de plus en plus fort. Un moment assez fou donc. Après, on retourne à sa vie normale avec plaisir aussi, mais ce genre d’événement n’en demeure pas moins un très grand moment.
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