Françoise Giroud, une femme honorable

Elle avait osé dire tout haut ce que beaucoup de femmes pensent tout bas, que vieillir est un scandale et ne plus séduire une souffrance. L’âge pourtant lui avait été clément, n’enlevant rien de ses capacités intellectuelles à cette infatigable travailleuse. L’heure du bouclage a sonné pour Françoise Giroud alors que venait de paraître sa chronique télé dans le Nouvel Observateur. Elle y parle des SDF "au bout d’eux-mêmes" qui n’attendent plus que "leur ultime refuge" et s’insurge : "De quel droit leur dérober ?" Ainsi était-elle, toujours à s’indigner, toujours à défendre les droits élémentaires, à ramener son grain de sel et son poil à gratter, reine de la concision et de la formule qui fait mouche, exemple de rigueur et de professionnalisme pour tous les journalistes, elle qui n’avait suivi d’autre université que celle de la vie.

Fertile en rencontres, la vie de Françoise, née Gourdji en 1916, qui lui font grimper les échelons de la réussite à la vitesse du son. C’est Marc Allégret qui met le pied à l’étrier de celle qui débuta en tant que petite dactylo à seize ans, en l’engageant comme script-girl - ainsi disait-on à l’époque - puis comme assistante. L’écriture l’attend au coin d’un studio, après la guerre où elle fut agent de liaison pour la Résistance. Jacques Becker lui met la plume à la main pour le scénario d’Antoine et Antoinette, elle ne la quittera plus. Sa rencontre avec Hélène Gordon-Lazareff est le grand tournant de sa vie : son entrée dans la presse par la porte d’un magazine inspiré de la formule américaine, Elle, alors à ses balbutiements, dont elle sera la rédactrice en chef avant de créer L’Express avec Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1953. Elle entre alors dans l’Histoire avec le combat sans merci qu’elle livrera contre la guerre d’Algérie, entourée de deux immenses figures de l’époque, Mauriac et Mendès France...

Tout cela, elle l’a raconté merveilleusement dans ses livres de souvenirs, de même que son court passage au gouvernement pour créer le secrétariat d’Etat chargé de la Condition féminine - une des promesses électorales de Valéry Giscard d’Estaing - puis se retrouver deux ans plus tard secrétaire d’Etat à la Culture. Relativisant les fastes de la République qu’elle abhorrait, elle précisait qu’il n’était pas difficile de garder les pieds sur terre quand on repassait soi-même sa robe de soirée...

Françoise Giroud nous a quittés le 19 janvier. Bourreau de travail, elle n’a cessé d’écrire, livrant chaque année un nouvel ouvrage, qu’il s’agisse de romans, de mémoires, de chroniques, d’essais ou de biographies, celles de Marie Curie, Alma Mahler, Jenny Marx, Cosima Wagner, Georges Clemenceau, et sa dernière, celle d’une "femme libre", Lou Andréas Salomé, parue à la rentrée d’automne. Déjà un nouveau livre était prêt, un roman, Les taches du léopard, annoncé par Fayard pour le 19 février. Son talent, son sourire, sa franchise et sa lucidité resteront gravés dans nos mémoires, tout comme l’immortelle formule qu’elle a forgée pour qualifier le cinéma des jeunes réalisateurs des années 50, celle de Nouvelle Vague...