Ferdinand et les iconoclastes

L’entrée en littérature de Valérie Tong Cuong avait été largement remarquée. Avec Big (1997), elle avait su d’emblée imposer un ton et construire un récit pour le moins original. Son quatrième roman ne déroge pas à la règle. Ferdinand et les iconoclastes c’est un peu le conte de la confrontation de deux modernités, deux manières radicales d’envisager le monde. Univers de multinationales contre conception utopiste du monde du travail, servi par une plume fraîche et sans failles.

Ferdinand est recruté par la filière française de HBMB, une boîte de cosmétiques. On le charge d’abord de lancer quelques produits. En fait, il s’en fout un peu, Ferdinand, des missions qu’il doit remplir... Lui, tout ce qu’il veut, c’est aller s’éclater là-haut dans le ciel, aux commandes d’un avion. Et puis Internet, la toile où les échanges sont possibles sans qu’il sorte de chez lui. Son appartement ressemble à une chambre d’étudiant, remplie d’ordinateurs. Car il est comme ça Ferdinand, légèrement introverti, tout juste déménagé de chez ses parents, passionné par les sujets scientifiques, la recherche, la physique... Une double personnalité. D’un côté l’ado attardé, de l’autre l’homme responsable obligé de se fondre dans le moule ordinaire.

Sa réussite professionnelle, on l’aura compris, ne constitue pas sa priorité. Ce qui ne l’empêche pas de briller, en adepte du travail bien fait. Mélissa, dès le premier jour, a bien senti qu’il était un peu à part, intéressant, charmant, timide... Et Joséphine Jacquin, JJ, tout le monde chez HBMB s’appelle par ses initiales, l’a également remarqué. Pour d’autres raisons... JJ cherche un mari pour lui assurer une belle vie sociale, un vrai parti qui lui permette de couler des jours paisibles à l’abri du besoin. Et le potentiel de Ferdinand est énorme... JJ sait mettre le grappin sur les hommes. Le sexe, quoi de mieux pour parvenir à ses fins ?...

Ferdinand est adulé pour son efficacité par les pontes de chez HBMB, qui vont le propulser de plus en plus haut dans la hiérarchie. Celui que l’on encense dans le monde du business et les médias va grimper les échelons, faire des sacrifices, tailler dans la masse... Ferdinand, modèle exemplaire, qui transforme tout ce qu’il touche en or. Entre-temps, Mélissa continue de ronger son frein et JJ s’est installée chez le jeune homme. Il n’a pas conscience de tout Ferdinand, son rêve est ailleurs, dans le ciel, dans la façon d’organiser le travail.

Valérie Tong Cuong nous promène dans ces entreprises aux dents longues où l’épanouissement personnel et la rentabilité ne font pas bon ménage. La candeur de Ferdinand, l’arrivisme de JJ (sans doute le personnage le plus réussi de ce roman), la passion de Mélissa, la fougue de Dizzy... Le conte est moderne et évidemment immoral. Et c’est en cela qu’il est formidablement réussi !