Divins regards
Le 24 septembre 2003
Il y a des romans qu’on ne parvient pas à lâcher. Expiation est de ceux-là. McEwan nous offre un grand moment de littérature.


- Auteur : Ian McEwan
- Editeur : Gallimard
- Genre : Roman & fiction

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Ian McEwan illustre avec Expiation sa parfaite maîtrise du jeu romanesque, de l’art du rebondissement mais aussi un indiscutable talent à sonder l’en-dedans de ses personnages.
S’il fallait qualifier ce roman d’un seul mot, généreux serait certainement l’un des plus appropriés. Et si Ian McEwan cherchait à démontrer toute sa maîtrise du jeu romanesque, il a parfaitement réussi son coup. Expiation se révèle être une balade formidable au cœur d’une époque, une magnifique plongée dans les âmes et les consciences, mais aussi un défi permanent lancé au lecteur
Au beau milieu de ce roman, il y a Briony. Briony Thalis, la narratrice, qui nous raconte son été 35, dans la maison familiale... Le rêve de Briony est de devenir écrivain. Alors, elle profite du retour de son grand frère le temps d’un week-end pour tenter de monter la pièce de théâtre qu’elle a écrite. La demeure est gigantesque, le décor suranné, la fraîcheur de la fontaine appétissante. Le spectre de la guerre commence à se profiler. Cecilia, la grande sœur de Briony, se prend au jeu de la séduction avec Robbie. Robbie, le fils de la femme de ménage, c’est un peu leur grand frère. Il a grandi dans la même maison et a pu suivre des études grâce au fortuné Mr Thalis. Cecilia et Robbie se cherchent et finissent par se trouver. Briony, qui les surprend enlacés dans la bibliothèque, se méprend sur les intentions du jeune homme. De fil en aiguille, en raison de l’imagination sans limites de l’adolescente, le pire va se produire... Le pire, c’est un mensonge, qui va bouleverser les destins de ces personnages, détruire leurs certitudes bourgeoises et briser la solidité des chaînes familiales.
Où se cache la vérité dans ce roman ? Car si le mensonge de Briony est l’élément déclencheur du récit, il est aussi celui qui nous permet de douter de son authenticité. Paradoxal ? Pas si sûr... Toutes ces voix, que l’auteur s’évertue à installer patiemment dans la première partie du récit (de loin la plus longue), sonnent cruellement juste. McEwan pénètre l’en-dedans de ses personnages, les sonde de manière passionnée. Chacun ses tourments, chacun ses problèmes et, bien évidemment, chacun ses remords. Et c’est à partir de ces examens de consciences qu’il se permet de jouer avec le lecteur. Robbie, un salaud pareil ? Vous n’y pensez pas ! Briony, sincère ? Et puis quoi encore ?
Tout est sujet à double interprétation. McEwan jongle avec les paradoxes et le pouvoir de l’écrivain. Ajoutez à cela une formidable peinture de la société anglaise d’avant-guerre et vous obtenez ce colossal Expiation. Image d’une société larvée, qui vit en dehors du monde (la guerre ne concernera directement que le moins fortuné) et qui passe par-dessus les sentiments. On soigne ses problèmes de conscience en se pavanant dans l’hypocrisie. Un soupçon de Jane Austen, une pincée de Virginia Woolf pour la technique stylistique rendent cet ouvrage encore plus solide. Alors ne boudons pas notre plaisir face à du grand McEwan.
Ian McEwan, Expiation (Atonement, traduit de l’anglais par Guillemette Belleteste), Gallimard, coll. "Du monde entier", 487 pages, 24,50 €