Le 29 octobre 2003


Le grand art de la digression au service d’un constat amer : les héros ne sont plus ce qu’ils étaient !
Le grand art de la digression au service d’un constat amer : les héros ne sont plus ce qu’ils étaient !
L’écrivain doute. C’est bien connu. Celui-là peut-être un peu plus que les autres, coincé entre sa femme pour toute la vie, sa maîtresse, sœur de la première, et son fils, "horrible". Alors il tourne et retourne sa vie dans sa tête, entre projets improbables, souvenirs émus et regrets, sans se résoudre à faire le grand saut : choisir.
Les événements jouent pour lui, même s’il s’imagine avoir un peu de pouvoir sur son destin, comme celui de changer au dernier moment le contenu de sa conférence sur "la structure mythique du héros", ou de faire et défaire les vies des habitants de son quartier, dans le roman qu’il est en train d’écrire. Car les gens sont sa matière, celle qu’il modèle et épie, puisque l’écrivain n’est rien d’autre qu’un espion. Dieu aurait été le voyeur suprême, mais puisqu’il n’existe pas, l’écrivain observe, intrusif, et refait le monde à son image.
Vila-Matas fait ici de la digression son mode d’expression. Le texte s’enroule au gré de souvenirs du narrateur, s’accroche à un détail, dissimule, avoue. Rien n’est simple, surtout quand la vie n’a rien à voir avec l’idée qu’on s’en fait. Réflexion ironique sur la création, Vila-Matas parle des bizarreries quotidiennes, cette "étrange façon de vivre" qui sauve de l’ennui.
Enrique Vila-Matas, Etrange façon de vivre (Extraña forma de vida, traduit de l’espagnol par André Gabastou), 10/18, 7,30 €