Le mauvais goût pour tous
Le 19 décembre 2020
Les trublions de la bande à Fifi tentent une comédie irrévérencieuse jouant sur les codes de la communauté homosexuelle. Il apparaît vite qu’ils ne savent de quoi ils parlent et tombent alors dans la caricature fielleuse.
- Réalisateur : Tarek Boudali
- Acteurs : Ramzy Bedia, Zinedine Soualem, Baya Belal, Philippe Duquesne, Yves Pignot, Philippe Lacheau, Tarek Boudali, Julien Arruti, David Marsais, Charlotte Gabris
- Genre : Comédie, Nanar
- Nationalité : Français
- Distributeur : Universal - StudioCanal
- Durée : 1h32mn
- Date télé : 15 novembre 2024 21:10
- Chaîne : M6
- Date de sortie : 25 octobre 2017
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Résumé : Yassine, jeune étudiant marocain vient à Paris faire ses études d’architecture avec un visa étudiant. Suite à un événement malencontreux, il rate son examen, perd son visa et se retrouve en France en situation irrégulière. Pour y remédier, il se marie avec son meilleur ami. Alors qu’il pense que tout est réglé, un inspecteur tenace se met sur leur dos pour vérifier qu’il ne s’agit pas d’un mariage blanc…
Critique : Parmi les derniers héritiers de ce qu’on appelait autrefois « l’esprit Canal » (ça parait loin...) encore visibles au cinéma, il semble ne rester qu’Alain Chabat, Omar Sy et la bande à Fifi. Tandis qu’on attend à la fin décembre la nouvelle comédie du premier et que le second rencontre son premier flop avec Knock, les troisièmes (qui sont davantage les héritiers de Michael Youn que des Nuls) en sont déjà à leur deuxième film depuis le début de 2017. Après tout, leur Alibi.com a connu l’un des meilleurs scores de l’année avec pas moins de 3,5 millions de spectateurs. Alors, tant que les fans répondent à l’appel du box-office, pourquoi se priver ? Et surtout, tant que leur humour régressif fait rire, pourquoi s’autocensurer ? En laissant l’écriture et la réalisation à son acolyte Tarek Boudali, le leader de la troupe, Philippe Lacheau lui a permis de s’attaquer à une thématique dans l’air du temps, mais non moins épineuse : le mariage pour tous.
Cette onde de choc sociétale, dont l’opposition a permis une libération de la parole homophobe en France et l’a permis visible dans les comédies françaises les plus puériles (Les Nouvelles Aventures d’Aladin en était jusque là la plus marquée), n’avait cependant pas encore été traitée frontalement au cinéma. Pour ce faire, Boudali s’imagine en immigré marocain sans papier contraint, pour obtenir la nationalité française, de demander en mariage blanc son ami, un chômeur, forcément fainéant. Le seul pitch laisse déjà filtrer les caricatures dont se délecte l’extrême droite dans ses discours populistes. Peut-on au moins accorder à Boudali la caution « autodérision » dans la représentation archaïque de la communauté marocaine dont il est lui-même issu ? Celle-ci a surtout de gênante, plus qu’un racisme sous-jacent, le sexisme avec laquelle apparaît la figure de la mère, mais aussi l’homophobie du père qui semble permettre de justifier celle du fils.
- Copyright Axel Films Production
Tout le problème du film, qui va tristement se transformer en ressorts comiques, est là : les deux personnages principaux sont homophobes. Leur mascarade pour se faire passer pour un couple gay va donc inévitablement se traduire par la réappropriation des pires clichés que l’hétéro-fascisme attribue à la communauté homosexuelle. Codes vestimentaires clinquants, féminité exacerbée, culte du corps viril, mais aussi obsession pour l’objet phallique qui s’exprime via une collection de godemichets... tout y est. La question que l’on peut se poser est alors de savoir si l’humour est censé naître du persiflage des gays, dont la sursexualité est mise en porte-à-faux, avec le romantisme bien plus sain des couples hétéros, ou de la grossièreté factice avec laquelle deux hétéros un peu crétins peuvent les percevoir.
Le caractère attachant de ces deux nigauds participant activement à en partager le point de vue, leur perception ne semble jamais remise en question. Les quelques scènes où le duo part à la découverte de la communauté homosexuelle, la vraie, viennent même confirmer la véracité de ces stéréotypes que l’on espérait désuets. Leur repérage au Marais semble les amener dans une sorte de dimension parallèle et bariolée, où les couples se promènent tous en marinière moulante et où même les pâtisseries sont en forme de grosses quéquettes. De la même façon, les passages en boîte « gay » appuient encore un peu plus cette monomanie libidinale jusqu’à la rendre profondément dérangeante. L’autre homosexuel visible à l’écran s’avère être un black -une caricature de racaille évidemment- dont le coming out tient lieu de gag puisqu’il semble évident aux membres de la bande à Fifi que jouer les gros durs et aimer les personnes du même sexe soit particulièrement incompatible. Homophobe ou raciste ? Peut-être un peu des deux.
- Copyright Axel Films Production
Si encore la ringardise outrancière de ces clichés pouvait s’avérer cocasse, Épouse-moi mon pote pourrait être qualifié de film de potes grossier, cependant inoffensif ; peut-être même, ce qui aurait été la consécration ultime, d’équivalent français des films de Judd Apatow ou de relecture moderne de La Cage aux folles. Mais, en plus de cumuler les gags qui tombent automatiquement à l’eau, cette comédie idiote s’adresse directement à un public très jeune à qui l’on montre ouvertement qu’un garçon qui embrasse un autre garçon commet un acte dérangeant, et donc peut être sujet à raillerie.
Au nom de la liberté d’expression et de l’humour second degré, Rachid Boutali et ses potes se permettent d’amalgamer homosexualité et sadomasochisme au sein d’un film grand public. Rappelons au passage que, il y a encore quelques mois, les ayatollahs de la bien-pensance se sont offusqués et ont fait pression pour que soient censurées des affiches montrant des hommes s’entrelacer langoureusement. Cette hypocrisie permet d’alimenter un sectarisme non avoué avec lequel nous sommes loin d’en avoir fini. Le succès public des délires de la bande à Fifi, trop immatures pour dissocier satire et mépris, politiquement incorrect et mauvais gout, n’en est qu’un symptôme qu’il serait bon ne pas voir renouvelé.
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