Les entretiens aVoir-aLire
Le 10 novembre 2011
Reza Serkanian, cinéaste franco-iranien, livre le secret de ses Noces éphémères.
- Réalisateur : Reza Serkanian
L'a vu
Veut le voir
Reza Serkanian, cinéaste franco-iranien, livre le secret de ses Noces éphémères
aVoir-aLire : Votre film n’est pas à proprement parler une oeuvre militante. Malgré tout, sous le voile de la fiction, vous abordez indirectement le thème de la condition des femmes iraniennes, et fait plus original, celle des hommes. Quelle est finalement selon vous, la difficulté d’être un homme dans un pays musulman ?
Reza Serkanian : Je pense effectivement qu’il y a une réelle difficulté à vivre librement sa vie d’homme en Iran. Dans le film, on le voit d’ailleurs très bien avec le personnage de Kazem. Ce jeune homme très honnête, totalement transparent, très frais aussi, avec des envies naturelles, voit ses désirs réprimés par la société dans laquelle il évolue. On observe aussi ce phénomène chez l’oncle de Kazem qui subit d’autres formes de pression (épouse, famille, mort de son père). Par contre, ça n’empêche pas ces deux individus de faire preuve d’auto-dérision, d’être heureux. Plus qu’une question de féminin ou de masculin, il y a une vrai souffrance de l’individu iranien. La société occidentale est vraiment faite de clichés sur la femme iranienne, qui serait soumise, controlée. C’est une erreur de croire que seule la femme est réprimée. La condition de la femme, dans mon pays, a des conséquences sur l’équilibre même des hommes. Vous dites qu’elle doit supporter le voile, mais c’est tout aussi étrange pour l’homme qui doit supporter le voile. Après tout, le voile est fait pour son regard. Imaginez-vous un homme privé de la beauté naturelle d’une femme ! Quelque-part, c’est faire preuve d’un manque de respect à son égard. On est là pour lui rappeler que son regard est sale. A la longue ces extrémismes déforment profondément les comportements humains. La dureté de l’image, c’est ça la vraie difficuté d’être de l’homme iranien.
Parlons du mariage temporaire. Pourquoi le choix de ce sujet ? Est-ce une pratique réservée à la frange chiite de l’Iran ou existe elle dans d’autres pays musulmans ?
On m’a dit qu’il se pratique dans certains pays arabes, mais je ne suis pas certain de ce que j’avance. Pour moi, au départ il ne s’agissait pas du sujet principal de Noces éphémères. Je veux dire par là que je n’ai pas commencé le film à cause de cette réalité. J’avais plutôt envie de raconter des situations humaines, étranges, et parfois absurdes sur la société iranienne. Des situations parfois hallucinantes pour arriver à vivre quelque chose de simple, comme par exemple dans le film, la séquence de l’alcool arrivé par inadvertance dans la soupe et qui, de fait, la rend impure et impropre à la consommation. C’est un événement presque anodin qui prend petit à petit une importance démesurée. Finalement la solution apportée est aussi trivial, voire absurde : grand-père Hadji recommande à tout le monde de se laver la bouche avant de manger !
Pour le mariage à durée déterminée c’est un peu pareil. Il a pris davantage d’ampleur peut-être parce que l’on connaissait mal le sujet en occident, mais pour moi le véritable propos du film reste la difficulté à rester soi-même et à vivre ses sentiments face à la société. Dans le film, Kazem et Maryam ne croient pas en ce mariage temporaire. Ils trouvent même cette idée ringarde. Mais à un moment donné, il se disent que c’est peut être la seule solution pour être tranquille, pour ne pas se faire arrêter, pour pourvoir prendre une chambre d’hôtel. Alors qu’à l’origine ils condamnent intellectuellement l’idée.
Le film est à voir de manière globale. Son intérêt, son ironie et sa force naissent de la conjonction de tous ces micro-évènements, insolites et insensés. Ce n’est que comme ça que le message prend tout son sens, à savoir que dans chaque société on a des règles et aussi des astuces qui permettent de vivre en toute légèreté.
Votre travail sur Noces ephémères est marqué par un vrai désir d’esthétique. La composition du cadre jouant sur une forte profondeur de champ, une hiérarchisation des corps dans l’espace et une lumière très douce produit une image très ’’parlante’’. Au final l’image silencieuse en dit plus long que le reste.
Vous considérez vous comme un cinéaste très plastique.
Oui certainement. Avant même l’écriture de mes scénarios, j’ai toujours des images qui me viennent. Des fois c’est très drôle parce que je n’ai aucune idée de comment et à quel moment je vais intégrer ces images dans le récit (rires). Je me débrouille vraiment pour arriver à ces images-là. Mon inspiration est vraiment liée aux images. Très souvent je prends des photos et je m’invente à partir d’elles une composition, une lumière, un visuel. Pour moi l’intérêt d’une image, sa beauté, c’est qu’elle nous marque et qu’elle nous donne envie d’imaginer son histoire. Une photo, c’est comme une fenêtre que le modèle peut ouvrir et refermer à sa guise pour nous parler.
Je vois toujours de l’espace, des mouvements, je me raconte des histoires. L’histoire ne produit pas des images c’est l’image qui est porteuse d’histoires. C’est exactement ce qui s’est passé pour le choix de la maison. J’avais à l’esprit une vision très détaillée de celle-ci et je l’ai longtemps cherchée, un peu comme on cherche la maison de ses rêves. J’ai fait le tour de quatre anciennes cités en Iran. Il me fallait absolument un bâtiment avec une cour, un couloir, plusieurs pièces en enfilade, un balcon, un bassin, mais on ne trouvait pas. A un moment donné on a même pensé combiner deux maisons parce qu’à l’heure actuelle, il est très difficile de dénicher une bâtisse pareille. Elles ne se font plus en Iran. Cette grande maison, je voulais pouvoir y créer deux univers distincts mais complémentaires : l’espace intime et calme, et l’espace plus festif des lieux communs à toute la famille. Même pour soutenir le propos de l’histoire il était nécessaire d’avoir cet espace, découpé entre les pièces réservées aux femmes, les pièces réservées aux hommes et des lieux de passage ouverts aux deux.
Un autre des aspects intéressants, c’est le personnage du grand-père. Véritable horloge interne de la maison, il rythme la journée de la famille par chacun de ses gestes (ses prières et déplacements, son sommeil) tout comme la musique, omniprésente, que ce soit celle de la bande-son et la présence effective d’un groupe de musiciens. Pouvez vous nous en dire plus sur votre approche du montage dans Noces éphémères .
C’est intéressant la manière dont vous voyez les choses, j’aimerais bien connaître votre réception du rythme justement.
De mon point de vue il y a deux sources de rythme dans votre film : celui impulsé par le grand-père, ses gestes lent et réguliers, ses prières, sa présence qui sont là pour refréner les envies des plus jeunes (figure de la tradition à respecter) et au contraire celui impulsé par la musique qui fait irruption (audio-visuellement) à la fois comme l’envie de vivre des plus jeunes mais aussi comme perturbateur de l’intimité.
C’est vrai que finalement, même s’il ne se résume pas qu’à cela, le film fonctionne pas mal par des contrastes. Je ne parlerais pas de contradictions mais de contrastes, de visions et des mondes différents qui se réunissent et s’équilibrent. Si l’on prend la musique toute seule, c’est une banale musique populaire mais avec le personnage du grand-père, on y ressent comme un poids qui est celui du respect et de l’admiration. Cette combinaison se retrouve même dans la deuxième partie, en ville, pour l’enterrement du grand-père. On entend un moment donné de la musique, mais cette fois-ci, ce sont des musiques religieuses. Il se produit alors un phénomène d’inversion dans le film. Au début la musique se cache dans la maison comme submergée par l’intimité puis, une fois passée le porche, c’est l’intimité qui se cache au son de la musique religieuse diffusée en plein coeur de la ville. Le moment d’intimité à la fin du film par exemple, est très fort parce-que l’on entend au loin l’interdit et l’agression de la musique religieuse.
La figure de la fenêtre est omniprésente. Très souvent les personnages, enfants ou adultes, y sont adossés pour rêver mais c’est aussi l’écran d’ouverture et de fermeture du récit par l’insertion du tableau de Bruegel. Pouvez vous nous en dire plus ?
Pour moi ce n’est pas un symbole. Je fonctionne toujours avec une dynamique d’intérieur/extérieur, d’intimité/société. A mon avis, on ne peut parler de l’un sans l’autre. Nous sommes tous partagés entre notre personnalité, notre moi individuel, finalement notre intérieur et la vision que l’extérieur nous renvoie de nous-mêmes. C’est pour ça que j’ai tant cherché cette demeure dans le style des maisons iraniennes d’antan. Dedans il y a déjà cet équilibre entre les deux, de par ce long couloir qui sépare l’extérieur et l’intérieur, couloir conçu initialement pour que les femmes puissent retirer leur voile sans s’exposer au yeux des passants. Il y a toujours eu en Iran ce décalage entre la vie chez soi et la vie en public. Dans le film par exemple, pour parler avec sa fiancée, Kazem doit aller dans le sous-sol, qui est encore un autre lieu de passage entre intérieur et extérieur. Il y aussi les rendez-vous stratégiques pris près d’une fenêtre afin de surveiller si quelqu’un venait à passer. Cette idée est finalement plus culturelle que propre à ma cinématographie. Pour le tableau c’est pareil, c’est encore une question d’espace qu’amène ce couple installé derrière la fenêtre et caché du regard d’un monde extérieur chaotique. Ce tableau de Bruegel est d’ailleurs rempli d’intérieurs et d’extérieurs... On y trouve beaucoup de circulation, des personnages un pied sorti sur le pas de la porte ou penchés au rebord de la fenêtre. A mon avis cette notion de société et d’intime était encore plus forte du temps de Bruegel. De toute façon plus la pression de la société est forte, plus le contraste est existant.
La grande force du film réside en l’authenticité des personnages. On imagine que l’écriture a dû être une étape essentielle dans votre travail. A-elle été inspirée du réel, de votre vécu ?
On ne peut pas vraiment dire ça. Je ne me suis pas directement inspiré des situations rencontrées sur le tournage, le scénario étant fini la première fois que je suis allé faire du repérage en Iran. Il était déjà primé et il existait même une version radiophonique diffusée par France Culture. En faite j’ai presque respecté le scénario à la lettre. Par contre je pense m’être inspiré d’une réalité qui s’est confirmée au fur et à mesure de l’avancement du projet. Je connaissais les difficultés et je les attendais, même si elles se sont révélées bien plus importantes. C’est vrai qu’à un moment donné, je me suis demandé si j’allais être crédible dans le sujet, dix ans après avoir quitté l’Iran. N’allais-je pas passer à côtés de certaines subtilités ? Le pays n’aurait-il pas changé ? Mais plus j’avançais dans le projet et plus je retrouvais des choses dont j’avais envie de parler dans mon film. Toutes mes intentions se sont vues confirmées au point que j’ai moi-même vécu les frustrations de mes personnages face à la lourdeur du système administratif iranien. Les arrangements, les pressions, les frustrations, mon expérience ressemble beaucoup à ce que j’étais en train de raconter. Je crois que j’ai finalement réussi à surmonter les souffrances que j’ai traversées pour réaliser Noces éphémères en me répétant que ça valait le coup, que le fait de l’endurer moi-même ne ferait que rendre le film encore meilleur. Et c’est tant mieux parce-que sans ça j’aurais peut être était un peu plus gentil (rires).
Le film se compose finalement de deux parties : la première, proche du conte, se déroule dans un univers enfantin, lumineux et léger malgré les contraintes de la famille et de la tradition, la deuxième, plus proche du documentaire, tournée en extérieur, dans une ville religieuse d’Iran plus moderne mais aussi plus agressive. Pourquoi avoir fait le choix d’un montage à deux vitesses, à deux visages ?
Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord il y a toujours cette dualité que je sens et qu’à mon avis tous les Iraniens ressentent, entre la vie intérieure et la vie extérieure. Il faut bien s’imaginer que dans la société iraniene, l’individu doit se comporter d’une manière codifiée, soit par rapport aux vêtements soit par rapport aux attitudes. Si on fait la fête il faut le faire discrètement chez soi. Il existe donc une réelle différence, une réelle dualité dans les modes de vies. Chez soi c’est la convivialité et une certaine chaleur. A l’extérieur c’est plus froid, plus dur. Mais c’est aussi parce que le film effectue une traversée des générations. Ca dure trois, quatre jours mais en réalité c’est une histoire qui se compte en années. Le récit commence avec l’enfance puis passe à la circoncision, puis au mariage et enfin à la mort. Les personnages grandissent avec nous, c’est un chemin de vie, de maturation et de passage vers l’âge adulte.
Enfant, les choses sont naturelles et spontanées, on n’intellectualise pas les comportements, et même les interdits ont leur logique. Plus tard on retrouve les même éléments mais déformés, instrumentalisés et cela devient un autre registre, alors que l’on est toujours dans la même culture. Et enfin, il y a le phénomène de détachement des deux personnages principaux, ce détachement de leur famille. Maryam est la plus avancée puisqu’elle sur le point de quitter le pays. Kazem lui réalise une transition entre sa cousine et Maryam, étant plus attiré intellectuellement par cette dernière. Mais tous les deux s’éloignent de leur culture sans s’en affranchir totalement. Finalement on peut critiquer beaucoup de choses en Iran mais on continue d’adorer sa mère et le pays qui nous a vu grandir ! Cette transformation peut aussi s’appliquer au personnage de l’Iran, qui est ne l’oublions pas, est un pays marqué par la révolution. Aujourd’hui le visage du pays a changé et quelque part c’est cette métamorphose que j’ai voulu porter à l’écran, celle de l’Iran d’avant la révolution, traditionnellement religieuse (première partie) et celle de l’Iran après la révolution, politiquement religieuse (seconde partie).
Parlez nous un peu de votre tournage et des conditions de réalisation. On s’étonne de la liberté de ton de certaines scènes et de certaines tenues, par exemple les femmes sont très rarement voilées en intégralité et souvent les cheveux dépassent. La censure morale en Iran est-elle finalement moins forte que l’image véhiculée par les médias occidentaux ?
Je ne pense pas qu’on exagère cette censure qui existe.
Ce qui est impressionnant par contre c’est le désir de résistance des Iraniens. C’est ce décalage qui fait la force du pays. Ce n’est pas du tout une société soumise comme on pourrait l’imaginer. Ils ne sont pas forcément engagés, ils ne passent pas leur vie à vouloir changer le monde mais ont dans leur manière d’être une certaine indépendance. Sur le tournage, les conditions étaient difficiles. Dès l’écriture, on m’a ordonné de ne pas tourner la scène finale. Il en était hors de question, pas seulement à cause du massage, mais surtout à cause du lieu. On ne tourne pas dans une chambre d’hôtel. J’ai dit d’accord et puis je l’ai fait quand même (rires). D’ailleurs j’avais casté la comédienne par rapport à cette scène. Une comédienne plus confirmée dans le réseau iranien aurait refusé. Mahnaz Mohammadi n’était pas comédienne. C’est une cinéaste très engagée. Elle tenait à faire cette scène qui est unique et sans précédent dans le cinéma iranien.
Et puis il y avait certaines scènes que je n’écrivais pas, de peur que quelqu’un ne tombe dessus ; l’équipe ne savait jamais vraiment ce qu’elle allait tourner. Dans le cinéma iranien on a l’habitude que certaines actions écrites soit considérées comme du hors champ, car impudique. Pour cette dernière scène j’ai élargi le cadre au tout dernier moment... De même, le dernier plan de Maryam, filmée sans voile et cheveux dénoués, a été réalisé en une seule prise dans la stupéfaction générale (à l’exception de la comédienne qui était ma complice !). Je voulais vraiment finir le film avec cette image. Elle est forte d’émotions et pleine d’humanité.
Depuis les printemps arabes on assiste à une vague de fictions féministes orientales. Pensez-vous que cette révolution caméra au poing puisse aider à changer les mentalités dans le monde musulman ?
Le problème, c’est que ces films-là ne sont pas vraiment accessible en Iran. Apres les intellectuels se débrouillent pour les récupérer.
Les gens ont finalement accepté cette double vie : au cinéma on voit un film iranien et chez nous on est libre de regarder ce qu’on veut. Après, je pense que c’est un travail culturel à faire et qu’il faut continuer. La situation changera mais c’est une révolution sur le long terme qu’il faut mener.
aVoir-aLire : Quels sont vos projets ?
Je suis en train d’écrire un nouveau scénario. Ca se passe en France. C’est une famille nombreuse avec encore plein d’intérieurs et d’extérieurs (rires). Cela fait suite à mon documentaire en Normandie, L’absence d’Adrien. L’histoire vraie d’un jeune garçon qui tombe dans le coma et dont la famille envoyait des messages à son adresse, par le biais de ma caméra, au cas où il se réveille, pour l’inviter à se souvenir. Je m’étais toujours dit qu’un jour j’en ferais un vrai film.
Propos recueillis à Paris le 8 novembre 2011
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.